La musique en tant qu’outil de conscientisation sociale dans les milieux populaires de Rio de Janeiro

INTRODUCTION

Dans un pays comme le Brésil, les arts vivants, et particulièrement la musique, font généralement partie du quotidien et ce, peu importe la classes sociale.  La musique y joue par surcroît un rôle particulier puisqu’elle a un très grand pouvoir mobilisateur auprès de la population.  Le Carnaval de Rio, pour ne citer qu’un des exemples connus à travers le monde, est devenu un emblème de la diversité culturelle du pays lors duquel, comme le précise Ferreira (2004;225), le malandro[1] et la bahianaise  cessent d’être de simples personnages de la rue pour devenir de vrais icônes de la brésilianité.  De plus, tout au cours de l’histoire du pays, la musique fut, et demeure encore, un instrument d’ascension sociale pour des gens issus de milieux plus démunis.  La vie de certains grands sambistas[2] en témoigne.

La conjoncture actuelle du Brésil pousse les autorités et la population à se tourner vers des alternatives, particulièrement aux niveaux social et politique, afin d’assurer la conscientisation et la prise en charge des individus aux prises avec une situation de marginalité.  Ainsi, l’intervention et la formation par le moyen des arts occupent elles une place privilégiée dans développement de tout citoyen brésilien.    Dans cet essai, je présenterai d’abord le contexte qui mène à ces programmes d’intervention, puis j’étudierai trois projets socio-culturels s’adressant à des jeunes “exclus” de la société, dans lesquels la musique occupe une place éminente, et de manière singulière.

Chapitre 1 — Contexte général

1.1  Bref rappel historique

La littérature spécialisée stipule que ce serait le navigateur portugais Pedro Alvares Cabral qui fut le premier Européen à mettre les pieds sur les terres du Brésil, le 22 avril 1500, et qui fit de ce territoire, déjà habité par environ quatre millions d’autochtones, une colonie portugaise.  Peu de temps après, des esclaves capturés sur les côtes africaines ont été amenés par les Portugais pour servir de main-d’œuvre aux colons qui s’installaient et pour contribuer à l’exploitation des ressources naturelles de la colonie.  Ce n’est que plus de trois siècles plus tard que l’esclavage sera aboli, le 13 mai 1888, en grande partie dû à des raisons économiques puisqu’il devenait plus cher d’entretenir des esclaves que de payer des salaires à des ouvriers récemment immigrés.

Le Brésil fut officiellement proclamé un pays indépendant en 1822, par Pierre Ier du Brésil. Dès 1824, la monarchie est devenue constitutionnelle et, en 1831, les élites propriétaires ont poussé l’Empereur Pierre Ier du Brésil à abdiquer pour son fils de cinq ans : Pierre II du Brésil.  C’est lui qui s’engagea, dans les années 1850, à lutter contre l’esclavage en interdisant l’import d’Africains. À partir de 1871, les enfants d’esclaves étaient désormais libres à la naissance.  La loi de 1888 abolissant totalement l’esclavage au Brésil ayant soulevé la résistance des propriétaires, ces derniers s’étaient engagés pour le renversement de l’Empire. L’Empire qui succéda à la colonie aura donc duré jusqu’en 1889, date à laquelle la République du Brésil fut proclamée.

La période de 1889 à 1930, communément appelée la Vieille République, fut surtout une réaction bourgeoise à la politique impériale et on n’osa pas organiser de vraies élections durant celle-ci.  C’était le règne des élites propriétaires, mais aussi les débuts de l’industrialisation puisque, durant la Première Guerre mondiale et au cours des années qui suivirent, le pays a atteint un niveau de fonctionnement industriel moderne.  La crise économique de 1929, ruinant les marchés extérieurs et l’économie brésilienne, sema le discrédit sur l’oligarchie propriétaire et son gouvernement fut renversé par un coup d’État en 1930.  Le 4 octobre de cette même année, Getúlio Vargas devint président-dictateur. Il établit un État plus centralisé et engagea le pays dans le droit de vote universel, le vote des femmes, ainsi qu’à bulletin secret.   Il resta au pouvoir jusqu’en 1945, mais il parvint à revenir au pouvoir de 1951 à 1954, où, accusé et discrédité, il se suicida.  Kubitschek et Goulart lui succédèrent, le gouvernement de ce dernier ayant été renversé en 1964 et remplacé par une dictature militaire répressive.  Ce régime militaire, critiqué pour l’augmentation de la dette brésilienne qu’il accumula, ainsi que pour sa nature répressive, s’est terminé en raison d’une volonté de démocratisation.  Depuis 1985, le Brésil entreprit une phase démocratique et des élections ont maintenant lieu tous les quatre ans.  Le 5 octobre 1988, une nouvelle Constitution, plus démocratique, fut promulguée en remplacement de celle de 1969 et elle désigne le Brésil comme la « République Fédérative du Brésil ».  Toutefois, plusieurs obstacles s’opposent à un réel rétablissement de la démocratie, comme le démontrent les inégalités socio-économiques et raciales.

Sur le plan économique, le Brésil a connu une croissance importante suite à la Seconde Guerre mondiale.  Toutefois, le pays fut marqué par une crise économique qui a augmenté considérablement le poids de la dette. En 1994 et en 1998, Fernando Henrique Cardoso fut élu et dut faire face à la crise. Dans les années 1990, le Brésil a mené une politique fiscale stricte, mais les contrecoups de la crise financière de 1998 en Asie du sud-est ont fini par contraindre la banque centrale du Brésil, en 1999, à adopter le real, nouvelle monnaie nationale qui n’était désormais plus ancrée au dollar américain et qui marque depuis une bonne stabilité.  Cette crise financière avait également encouragé le FMI à accorder un prêt de 41,5 milliards $US au Brésil en novembre 1998, ce qui a pour effet, encore une fois, d’augmenter la dette du Brésil.

Depuis 1991, le Brésil fait partie du Mercosur[3], marché commun de l’Amérique du Sud qui inclut aussi l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay, où il occupe une position dominante.    Toutefois, comme le précise Alves de Souza (2005; 73), bien que la culture occupe une place importante au sein du discours du Mercosur, celle-ci n’est pas inclue à l’intérieur d’une politique publique pour ses diverses manifestations.  De plus, cet auteur reproche l’exclusion de la culture de masse, particulièrement celle des jeunes, en tant qu’outil intégrateur pour le Mercosul, ainsi qu’une centralisation excessive du processus à l’intérieur de la sphère gouvernementale, marquée par l’absence de dialogue entre le gouvernement et la communauté artistique liée à des projets qui intensifient l’idée d’intégration[4].

Enfin, le 27 octobre 2002, Luís Inácio da Silva a remporté le deuxième tour des élections présidentielles avec 61,4% des voix.  Son arrivée au pouvoir a été vue au Brésil comme un symbole de l’émergence et de la conscience des mouvements sociaux.  Premier président socialiste, il a souhaité restaurer les finances brésiliennes et encourager l’économie par des impulsions sociales.  Son parti, le Parti des travailleurs, s’est toutefois embourbé dans un des plus grands scandales financiers qu’ait connu le pays, moins de deux ans après son arrivée au pouvoir.  Aujourd’hui, bien qu’on applaudisse le nouveau concept de démocratie que Lula propose, de même que la politique internationale du parti et le contrôle de l’inflation,   on reproche au Président de n’avoir tenu qu’une infime partie de ses promesses, particulièrement en ce qui concerne la lutte contre les inégalités sociales.

Au niveau culturel, un autre nom mérite d’être mentionné : celui du ministre de la Culture, Gilberto Gil, également artiste populaire. Son entrée au gouvernement marque le début d’une relation dynamique entre culture et développement, prônant que l’investissement financier dans le champ culturel sert au plein développement économique et social.  Toutefois, comme le souligne Araújo (2005;77), « l’instrumentalisation » de la culture, dans la foulée du développement national, s’avère peu consistante si elle n’est pas associée à une réflexion sur les formes de perversion sociale, politique et économique possibles.

1.2  Le Brésil actuel – données générales

Le Brésil est une fédération de vingt-six États et d’un district fédéral, où se trouve la capitale, Brasilia.  De par sa taille et sa population, ce pays possède le plus grand PIB d’Amérique du Sud. Entre 1961 et 2005, la population totale du Brésil est passée d’environ 70 millions à 184 millions d’habitants[5], dont 53% de Blancs, 38% de Mulâtres, 6% de Noirs, 1% d’Asiatiques, 1% de Métis et 1% d’Indiens.  De plus, le Brésil accueille chaque de nombreux immigrants, en provenance surtout du Liban et du Japon. La population active du Brésil s’estime à 82,59 millions d’habitants (estimation 2003), qui oeuvrent principalement dans les secteurs des services (53%), de l’agriculture (23%) et de l’industrie (24%).  Les principaux problèmes de société auxquels le pays fait face actuellement sont l’inflation (9,3% en 2003) et le taux de chômage, estimé à 12,3 % en 2003.  De plus, 55,8% du PIB était consacré à la dette publique extérieure en 2002, soit 270 milliards $US.  Enfin, le Brésil se classait, à la fin des années 1990, au 73e rang mondial en ce qui concerne l’indice de développement humain[6].

Cinquième plus grand pays au monde, la république du Brésil regorge de ressources naturelles, dont le fleuve Amazone, le plus grand du monde, son immense forêt tropicale encore très vaste malgré les déforestations massives et ses nombreuses mines.  Le Brésil exporte des oranges, du sucre, du soja, du bœuf et du cacao.  La culture du café, longtemps dominante, reste à ce jour encore présente, bien que moins importante.  Le bois est également un élément essentiel, mais le respect de l’environnement constitue aujourd’hui une entrave à sa commercialisation.  L’industrialisation rapide qu’a connut le pays en 1945 en a fait une des plus grandes puissances industrielles, après les pays du G7 et la Chine.  Le textile, l’habillement, l’agroalimentaire, la métallurgie, la chimie, l’industrie du ciment et des engrais, le raffinage du pétrole, l’industrie électrique et automobile constituent les principaux secteurs industriels.  Malgré tout,  plusieurs Brésiliens n’ont pas accès à un style de vie digne d’un pays développé : seulement 51% d’entre eux ont accès à de l’eau filtrée, 18% à un congélateur et 34% à des machines à laver[7].  La répartition des richesses est donc un problème social et économique d’actualité.  Près d’un tiers des habitants du pays aurait un niveau de vie équivalent ou supérieur à celui d’un Européen, alors que, en 2002, entre 22 à 55 millions de personnes (selon les chiffres du gouvernement ou de la Conférence nationale des Évêques) souffraient de la faim.  Encore un quart des Brésiliens vivrait avec moins de 1$ par jour.

1.3  Définitions des concepts et problématiques sociales

Dans ce travail, je fais référence aux jeunes issus des milieux populaires de Rio de Janeiro.  Par milieux populaires, j’entends des espaces dans lesquels l’accès aux services divers (santé, éducation, installations sanitaires, etc.) est limité et à l’intérieur desquels on retrouve la classe prolétaire et/ou les sans-emploi.  Les favelas (je reviendrai sur ce terme) en font inévitablement partie.  Les jeunes issus de ces milieux doivent souvent faire face à la violence et aux récurrents problèmes de toxicomanie et d’alcool, en plus de la pauvreté.

Selon le journal Le Monde du 10 février 2005, 50 000 homicides sont commis au Brésil chaque année, ce qui classe le pays au troisième rang mondial en ce qui concerne la violence, derrière la Colombie et la Russie.  Cette forme de violence, généralement associée au narco trafic, s’inscrit dans un contexte dans lequel est né un pouvoir extra-légal aucunement lié au pouvoir politique du gouvernement : un pouvoir parallèle (Estado paralelo) qui, dans bien des cas, exerce une influence majeure sur les populations.

Sur le plan de la répartition des richesses, le Brésil, comme plusieurs autres pays d’Amérique latine, est marqué par une très grande inégalité sociale.  Si le contact quotidien entre les plus riches et les plus pauvres crée des tensions et de la violence,  un rideau de fer semble séparer la réalité et le mode de vie de ces populations pratiquement homogènes pour former deux Rio de Janeiro : le nord-ouest de la ville, communément appelé la Zona Norte, qui s’étend sur des kilomètres et est habitée par les classes pauvre et moyenne inférieure, surtout prolétaires et grands utilisateurs des transports en commun, et la Zona Sul, domicile des plus aisés dans lequel se sont incrustées des familles démunies à la recherche d’un quotidien plus agréable.  En effet, si le coût anti-démocratique des transports en commun à Rio de Janeiro a pour effet de limiter les déplacements des habitants de la Zona Norte vers le Centre et la plage, certains ont compris qu’ils pourraient y avoir accès en s’y installant de façon définitive.  C’est ainsi que se retrouvent à l’intérieur d’espaces exigus plusieurs familles dans des quartiers et collines de Rio de Janeiro, communément appelées favelas.   Le terme de favela est utilisé pour désigner les bidonvilles brésiliens et il s’agit de quartiers situés sur des terrains occupés illégalement, le plus souvent insalubres, et dont les habitations sont construites avec des matériaux récupérés.   La plupart des habitants des favelas sont venus des campagnes de l’État de Rio de Janeiro et des autres régions du Brésil, principalement du Minas Gerais et du Nordeste, suite à l’abolition de l’esclavage en 1888 pour s’installer à Rio de Janeiro, qui offrait de meilleures perspectives d’emploi, particulièrement lors de l’industrialisation.  Plusieurs d’entre eux étaient donc de descendance africaine.  Les conditions financières de ces gens ne leur permettant pas de s’installer là ou bon leur semblait, ils se sont regroupés en communautés et se sont accommodés.  La population de la ville de Rio de Janeiro, tout comme celle du Brésil dans son ensemble, souffre définitivement d’une répartition inégale des richesses et des opportunités.

Favela de Cantagalo, Zone Sud de Rio de Janeiro

1.3.1   La violence au Brésil : une préoccupation quotidienne

Au cours des dernières années, la violence criminelle en milieu urbain est devenue une des préoccupations centrales des débats publics nationaux.  Celle-ci serait, après les problèmes liés à l’inemploi, les soins de santé et les problèmes liés aux drogues, un des principaux enjeux des politiques publiques au Brésil (Araújo, 2006 ; 292).  Face à cette situation, le gouvernement fédéral, ainsi que plusieurs ONGs, ont proposé un scrutin national suggérant l’illégalité du commerce des armes au Brésil en octobre 2005.  Toutefois, cette ouverture a été refusée par soixante pour cent de la population, maintenant ainsi légale la vente d’armes à feu à des particuliers.

Le trafic de la drogue et des armes à feu figure parmi les principales matrices de la criminalité et se multiplie dans les régions métropolitaines brésiliennes, s’articulant particulièrement autour des réseaux du crime organisé, mais influence également l’ensemble de la criminalité en expansion dans le pays (Soares, 2005; 248). La violence criminelle demeure un problème commun à l’ensemble de la population brésilienne, mais elle touche davantage les jeunes, particulièrement les pauvres et les afro-descendants (idem ; 247).  Selon Junior (2006 ; 95-96), les statistiques démontrent que le nombre d’enfants impliqués dans les réseaux criminels augmente tous les jours.  L’âge moyen d’entrée dans le « trafic » était de 15-16 ans en 1990, alors qu’il est passé à 12-13 ans en 2000.  Sous l’effet des préjugés qui leur sont destinés ou encore de l’indifférence généralisée, des enfants et adolescents  pauvres, principalement d’origine afro-descendante, déambulent dans les rues des grandes villes brésiliennes.  Ces jeunes « invisibles » de la société accumulent, en plus de la stigmatisation associée à la pauvreté, celle qui dérive du racisme.  Ainsi, dès qu’un jeune possède une arme, il acquiert ipso facto le pouvoir d’instaurer la peur.  « L’arme sera alors un passeport pour la visibilité » (Soares, 2005;215).

La violence n’est pas que d’un seul côté dans les favelas. La force policière, souvent violente, mérite aussi d’être mentionnée.  La tragédie de 1993 dans la favela de Vigario Geral[8], qui a fait vingt-et-une victimes, et les huit jeunes de la rue qui avaient été tués par des policiers devant la Candelária[9] quelques semaines auparavant (Junior, 2006; 50) ne sont que deux des actes les plus affligeants commis par les forces policières.  Ces événements, pour ne citer que ceux-là, ont provoqué un malaise et une forme de prise de conscience des injustices auxquelles ont droit les populations des favelas.

Ainsi, la situation particulière qui préside à l’intérieur des favelas montre un portrait social complexe.  Les trafiquants jouissent en effet d’un pouvoir extrêmement fort dans la favela car « Dans la favela, le gouvernement est vu comme un « pouvoir parallèle ».  Le pouvoir officiel est celui du trafic  (idem;53) ».  Enfin, c’est dans ce contexte qu’une certaine forme de violence policière autorisée stimule la corruption, qui signifie l’impotence dans le combat face à la criminalité.  « L’ironie du sort est que, tel que souligné par Soares,  cette violence policière est autorisée au nom de l’efficacité et de la rigueur dans le combat contre le crime » (2005; 266).

Ainsi, il n’est donc pas surprenant que la violence et la criminalité aient été le sujet de nombreuses recherches dans le domaine des sciences sociales au Brésil depuis les dernières décennies.  C’est donc dans la foulée de cette problématique que j’ai rédigé cet essai, en privilégiant ici le regard de l’ethnomusicologue, plongée pendant un certain temps dans le milieu urbain de Rio de Janeiro.  Mon intention est de montrer le rôle du discours sur la musique et de la pratique musicale dans la tentative de prise de conscience de la réalité environnante dans un but de favoriser l’insertion sociale des jeunes des milieux populaires.  Avant d’aller plus à fond dans cette perspective, je tenterai de définir certains concepts en cause dans cette situation socioculturelle particulière.

1.3.2  De l’exclusion sociale

L’expression « exclusion sociale » jouit d’une grande popularité autant dans le langage journalistique qu’académique ou politique. Elle apparaît au centre des préoccupations et du discours de plusieurs ONGs au Brésil, de même que dans la littérature sur le sujet (notamment Grossi Porto, 2001 et Rattner, 2002).

1.3.2.1  Définition

Selon Rogers (in Dupas, 1999), l’exclusion est essentiellement multidimensionnelle,  se manifeste de diverses manières et atteint les sociétés de façons différentes, les pays pauvres étant affectés plus profondément.  Elle se présente sous forme de non-accessibilité à l’emploi, aux biens et aux services, mais aussi par l’absence ou le peu de sécurité, de justice et d’accès à la citoyenneté. Toutefois, je suis d’avis avec Grossi Porto (2001;11) que le caractère dynamique des processus d’inclusion et d’exclusion a pour conséquence l’inclusion d’individus dans certaines dimensions de la vie sociale  simultanément à l’exclusion dans d’autres sphères. Dans le cas des jeunes Brésiliens dont il est ici question, (Araújo (2005; 71) préfère parler d’une « intégration perverse au capitalisme contemporain, post-industriel et déterritorialisé ». En réalité, l’exclusion, dans une société telle que le Brésil, est fortement liée à la problématique de l’écart entre les classes sociales et à une tentative d’accès à une pleine citoyenneté de la part des « exclus ».

Dans ce contexte, nous pourrions dire que certains jeunes Brésiliens n’ont pas accès à une pleine condition humaine et à l’épanouissement pour diverses raisons[10], dont celle de ne pas pouvoir circuler librement d’une communauté à l’autre et voire même, parfois, à l’intérieur même de leur propre communauté.

Ainsi, bien qu’ils puissent être qualifiés de « sujets sociaux »,  expression qui représente pour Charlot (2000; 33, 51) des êtres humains ouverts sur le monde qui possèdent une histoire, qui ont des désirs et qui sont motivés par ceux-ci, qui sont en relation avec d’autres êtres humains qui sont eux aussi « sujets », les ressources auxquelles ils ont accès sont limitées.  Nous sommes d’avis avec Dayrell (2005; 178) que « le développement total ou non des potentiels qui caractérisent l’être humain dépend de la qualité des relations sociales dans lequel celui-ci s’insère ».  Celui-ci utilise l’expression « interdiction d’être » (« proibido de ser ») afin d’illustrer les conséquences des  conditions  parfois  inhumaines  dans lesquelles plusieurs jeunes évoluent et qui les empêchent de développer leurs potentiels et de vivre pleinement leur condition humaine (idem).  S’inspirant de Durkheim (1952), Dayrell affirme que l’individu est incapable de se créer sa propre identité et ses propres opinions sans éducation ni socialisation, généralement prescrits par la société dans laquelle il évolue.  D’où l’importance de l’étude de la socialisation autour de l’acte musical en ethnomusicologie. L’être humain serait donc un produit de la société et le pouvoir public devrait avoir  pour responsabilité de  permettre le libre et plein accès à la citoyenneté, accessible, selon Ribeiro (2002;115), grâce à la connaissance de ses droits et devoirs.  Enfin, les jeunes Brésiliens issus des milieux populaires sont trop souvent exclus des droits civils[11] et, conséquemment, d’un plein accès à la citoyenneté.

1.3.2.2  Qui sont ces exclus ?

Les milieux défavorisés dont il est ici question doivent quotidiennement faire face à une violence symbolique (Bourdieu 1970 et 1992), en grande partie due aux nombreux préjugés qui leur sont associés.  Dans l’imaginaire social, les favelas sont synonymes de funk et de samba, qui font donc référence à une certaine forme de culture, mais également à la violence et aux drogues, ce qui suscite à la fois l’admiration et la peur (Zaluar et Alvito, 2000).

Les exclus du système social brésilien proviennent en grande partie des régions les plus pauvres et moins développées du Brésil, principalement du nord-est du pays, ainsi que des périphéries des plus grandes villes. Les favelas des monopoles telles que São Paulo et Rio de Janeiro abritent un nombre incroyable de familles défavorisées.  Toutefois, le phénomène s’étend aujourd’hui à d’autres grandes villes du Brésil, telles que Belo Horizonte, Maceió et Recife.  La ville de Rio de Janeiro est célèbre pour ses favelas à flanc de collines.  Elle en compterait en tout entre 600 et 800, concentrées surtout dans la Zona norte, occupées par des prolétaires.   La population des favelas doit faire face à de nombreuses difficultés, dont le manque d’infrastructures, la misère, la violence due aux trafiquants de drogues qui se font la guerre dans les rues.   C’est là que se retrouve la majeure partie de la population afro-brésilienne qui vit dans le Distrito Federal de Rio de Janeiro.

Le phénomène de pauvreté urbaine, presque synonyme d’apparition de favelas, existe à Rio de Janeiro depuis la fin du XIXe siècle. Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1930 que l’espace de la ville s’en en senti affecté. De nombreuses démolitions de bâtiments ont amené les habitants qui y avaient trouvé refuge à aller vivre en périphérie ou encore à monter les collines.  La favela apparaissait comme une opportunité pour une grande partie de la population pauvre qui n’avait pas d’emploi fixe, dans le contexte des nouvelles techniques de travail de cette époque.  En 1937, une loi fut promulguée en vue d’arrêter la prolifération des favelas, mais ce fut un échec.  Dans les décennies 1930 et 1940, le nombre de favelas a continué d’augmenter, en réponse à la hausse du coût de la vie. Jusqu’aux années 1970, les interventions de l’État en faveur des populations qui en souffraient étaient limitées, contradictoires et rarement dans l’intérêt des plus démunis[12].  On a vu des évictions violentes, en passant par des incendies ou l’intervention des forces policières.  Les débuts des années 1940, et aussi des années 1960, ont été marqués par des programmes intensifs de « nettoyage », c’est-à-dire de démolition des logements des plus pauvres afin de les relocaliser dans des habitations un peu plus décentes.  Bien que le projet n’ait pas fonctionné, ce fut la première initiative d’élaboration d’une politique de logement, puisque les initiatives passées étaient basées exclusivement sur la violence.  Le début des années 1980 a vu naître des associations et mouvements qui revendiquaient des infrastructures permettant d’améliorer les conditions de vie des habitants des favelas. Au même moment, le pourcentage des gens qui vivaient sous le seuil de la pauvreté à Rio allait en augmentant.  Selon Lago (1992), la population des favelas aurait augmenté de 29,2% au cours des années 1980, et ce, principalement dans la périphérie de Rio. En 1994 on comptait environ 660 favelas à Rio et celles-ci étaient habitées par un million d’habitants (IBGE, 1994).

C’est donc à l’intérieur des favelas, dans les zones les plus détériorées, que se retrouve la population la plus pauvre de Rio de Janeiro.  Cette situation reste une forme coercitive et radicale de ségrégation résidentielle ethnique, car elle reflète, selon Costa Pinto (1998 ; 151), l’incapacité économique d’une grande partie d’un groupe ethnique à s’installer où elle le désire et à avoir accès aux ressources d’une communauté.  Rappelons que la ségrégation se définit pour ce sociologue comme étant une forme relative d’isolement d’un groupe à l’intérieur d’une structure majeure, dans laquelle la distance physique qui le sépare des autres groupes reflète une distance qui existe aussi dans l’espace social (idem : 126,127).  Aussi, comme dans toute société où coexistent divers groupes ethniques, ceux-ci se séparent naturellement pour cause des différences sociales accentuées. La ségrégation peut se manifester dans la forme des habitations, tout comme dans l’habillement, la mentalité, les coutumes et tout ce qui peut différencier deux ou plusieurs types sociaux.

Costa Pinto (1998;153) définit le concept de classe sociale comme un ensemble de relations sociales, qui définissent une position objective dans la société.  Ces relations et positions ne sont pas fixes et immuables, car elles se transforment au fil des changements historiques de l’organisation sociale. Une classe sociale apparaît donc comme un grand groupe d’individus qui occupent la même position. La stratification, présente à Rio de Janeiro, désigne quant à elle le système total des positions sociales qui résultent de l’existence, de la pluralité et des différences entre les classes à l’intérieur d’une société. Nous verrons que les classes sociales au Brésil sont en grande partie déterminée par l’origine ethnique, d’où leur fréquente association avec, en plus du pouvoir d’achat, la ségrégation et le racisme.

Enfin, nous abondons dans le sens de Soares (2005; 205 et 208) qui affirme que les exclus de la société brésilienne souffrent particulièrement de l’indifférence et de l’invisibilité, tout autant que des préjugés, et que celles-ci nuisent aux pauvres, et surtout aux afro-descendants, de façon souvent imperceptible.

1.3.2.3  Liens entre l’origine ethnique et l’exclusion

« Dénoncer le racisme est presque être anti-brésilien, est presque non-patriotique » (Soares, 2005; 87).  Cette phrase révèle bien une grande problématique au Brésil.

La classe sociale à laquelle les Brésiliens appartiennent reste souvent liée à leur origine raciale ou ethnique.  En effet,   les peuples indigènes et les afro-descendants demeurent encore souvent aujourd’hui marginalisés et dans une situation économique difficile.  Le sociologue Costa Pinto s’est penché sur la question de l’égalité entre les Noirs et les Blancs, au cours de ses recherches dans les années 1950. Il reprochait à ses prédécesseurs historiens, anthropologues et sociologues tels que le célèbre Gilberto Freyre, de s’être dotés d’une « fausse conception de l’orgueil national », en ce sens que la société brésilienne présente elle aussi des problèmes de discrimination raciale et qu’elle a peut-être longtemps cherché à  les ignorer.  L’expression criptomelanismo (cryptomelanism) de Renzo Sereno, qui se définit comme la peur de déclarer ou le désir de cacher l’importance qu’on donne réellement aux questions de races et de couleur, paraissait appropriée pour la situation brésilienne, selon Costa Pinto (1998 : 282).  La citation de Soares en début de cette section nous démontre que la situation reste la même aujourd’hui.

En réalité, depuis l’abolition de l’esclavage en 1888, plusieurs préjugés sont  maintenus, comme celui qui prétend que les afro-brésiliens et leurs descendants nuisent au progrès de la société brésilienne.  On a alors tenté, suite aux idées de penseurs de l’époque tels que Louis Couty, de « blanchir » la population en favorisant, entre autres, l’immigration d’Européens (Santos, 2005).   Joaquim Nabuco se préoccupait, pour sa part, non seulement de la promotion de l’émancipation des esclaves, mais également de leur futur et de celui de leurs descendants.  Pour lui, la fin de l’esclavage ne signifie pas simplement libérer les esclaves, mais délivrer la nation et le peuple de toute trace qui allait rappeler la barbarie de ce système (idem; 108).  Déjà, on se souciait d’éviter de propager toute la propagande abolitionniste aux esclaves afin d’éviter « d’installer dans le cœur de l’opprimé une haine qu’il ne sent pas encore » (Nabuco, 1938; 6).  Autant dire qu’on souhaitait oublier cet épisode de l’histoire et nier l’existence de racisme et de violence contre les esclaves.  Comme le précise Santos (idem; 117), on condamnait souvent l’esclavage de manière générale, mais autant, sinon plus, pour le bien-être  et le progrès de la nation que pour le mieux-être des esclaves.  Ainsi, on n’assurait aucunement l’accès à la citoyenneté à ces derniers.  Au contraire, les anciens esclaves furent traités non seulement comme des inutiles, mais aussi comme une menace.  L’association des classes pauvres aux classes « dangereuses » est alors apparue dans le discours des parlementaires (Chalhoub, 1986; 47-48).  Un peu plus tard, lors de l’apparition de la République, de nouveaux questionnements concernant le type de citoyens que l’on souhaitait voir former cette nouvelle nation libre refirent surface.  De quelle manière les afro-descendants contribuaient-ils au progrès de la nation?

Ce ne sera qu’avec Gilberto Freyre, plus précisément à partir des années 1930, que le métissage et le mélange des diverses cultures présentes au Brésil furent enfin valorisés.  Toutefois, bien que Freyre ait dénoncé une certaine forme de racisme, il en a créé un nouveau dans lequel les afro-descendants se retrouvent encore inférieurs aux  Blancs.  Il a contribué à l’invention d’une nouvelle « identité » pour les Blancs, les métisses et les afro-descendants, mais également pour la configuration d’une identité nationale basée, celle-ci, sur une fausse démocratie.

De nos jours, la part de la population d’origine africaine au Brésil est évaluée à 44,3%, mais les chiffres exacts risquent fort d’être supérieurs à ceux-ci puisque plusieurs Brésiliens nient leurs origines africaines pour cause de « l’idéologie du blanchiment »  (Ferreira, 2000; 39).  Nous sommes d’avis avec Ferreira (idem) que la « démocratie raciale », devenue aujourd’hui le discours officiel, rend plus difficile le combat effectif de l’injustice pour les individus et groupes ethno-raciaux différents des Blancs-Européens. Nous abondons également dans le même sens que Souza (1991; 38) lorsqu’elle conclut que « Les opportunités de travail et d’ascension sociale ne sont pas identiques pour les Noirs et les Blancs, mais jette sur le Noir la faute de son infériorité social, économique et culturelle ».  Les valeurs afro-brésiliennes, préservées de génération en génération, participent aujourd’hui à la constitution socioculturelle de la nation, au même titre que celles indigènes et européennes.  De plus, elles apparaissent actives et constituantes du processus de formation de la citoyenneté.

L’école joue un rôle dans la construction de l’identité.  Toutefois, jusqu’à tout récemment, les programmes scolaires ne comportaient aucune référence aux éléments des cultures autres que celle « blanche européenne », soit celle de l’élite.  Depuis janvier 2003, une loi (no.10.639) sanctionnée par le président de la République oblige l’inclusion d’éléments de la culture afro-brésilienne dans les cursus de l’enseignement primaire et secondaire (fundamental e médio).  Ceci inclut l’intégration de la littérature, de l’histoire et, principalement, de l’éducation artistique à l’intérieur des programmes existants.   Cette loi est le résultat d’une lutte des afro-descendants et des indigènes qui revendiquaient, à travers de pressions politiques et culturelles, l’insertion de leurs valeurs dans le cursus scolaire, reconnaissant ainsi l’éducation formelle en tant que champ de dispute.  De leur côté, les mouvements sociaux ont amené une révision des structures académiques grâce à une dénonciation du racisme, de la discrimination, de la vision ethnocentrique de la culture et la considération des diverses identités.

1.3.2.4 De l’exclusion à la marginalisation sociale

Si l’exclusion se définit par l’absence d’accès à des conditions de citoyen à part entière, la marginalité se veut un pas vers l’inclusion sociale, en ce sens que le marginal est généralement intégré et souvent même engagé dans la société globale.  Selon Barel (1982), la marginalisation est un phénomène d’exclusion des processus de reproduction et des systèmes socioculturels les plus importants d’une formation sociale donnée et non une exclusion totale.  La marginalité est un concept construit et un lieu d’expérimentation de nouveaux comportements sociaux.  Ainsi, les jeunes issus des milieux populaires qui réussissent à se tailler une place dans la société, par l’intermédiaire d’un emploi ou des études plus avancées par exemple, sortent de leur condition d’exclus mais demeurent marginalisés aux yeux de la société globale.  Il en est de même pour les musiciens qui accèdent à un nouveau statut à partir du moment où ils se produisent devant public, particulièrement si ce public est issu de classes plus élevées dans la société, et encore plus s’ils réussissent à produire des succès commerciaux.  La musique représente définitivement une possibilité d’ascension sociale par une forme de récupération des succès musicaux commerciaux qui assure une certaine reconnaissance du succès dans la société globale.  Toutefois, leur succès tend à les marginaliser au sein de leur environnement premier (milieu populaire ou favela) puisqu’ils participent à l’élaboration d’une nouvelle image de celui-ci.  Ainsi, ce qui est marginal peut être amené à jouer un rôle dynamique à l’avenir.  Par ailleurs, ils demeurent souvent marginaux pour l’ensemble de la population du pays qui les considère encore singuliers en raison de leur origine et du lien qu’ils conservent généralement avec celle-ci.  Aussi, la marginalité peut également provenir de l’absence de volonté de s’inscrire dans la logique de l’industrie culturelle.  Enfin, j’abonde dans le sens de Barel (idem) lorsqu’il relève que la marginalité se réfère souvent aux appartenances multiples du marginal, à la société globale et à ses sous-systèmes marginalisés.  Quoi qu’il en soit le passage de l’exclusion vers la marginalisation doit se faire, à mon avis, grâce à une forme de conscientisation.

1.3.3 De la conscientisation

De manière générale, les jeunes issus des milieux populaires présentent un faible niveau de scolarisation.  Celui-ci serait relié à une « conscience intransitive » (Allard et Ferrer, 2002), c’est-à-dire à une mauvaise connaissance des facteurs sociaux qui influencent négativement ou positivement la vie personnelle, la communauté et la société.  J’utilise ici le terme de  conscientisation, au sens où Allard et Ferrer l’entendent, soit l’éducation à la compréhension critique de la réalité sociale et environnementale et au sens éthique de la responsabilité (2002 ; 82).  Toutefois, la conscientisation ne s’arrête pas à cette compréhension, mais implique également un engagement pour changer cette réalité sociale.  Elle a pour objectif de mener à la conscience transitive, que Allard et Ferrer définissent comme suit :

La conscience transitive est la capacité de réflexion critique qui permet de mettre en doute ce qui est présenté comme inchangeable, de remettre en question ses propres choix ainsi que ceux de la société.  C’est la capacité d’accepter d’être dérangé dans sa propre complaisance, de laisser de côté ses propres conceptions « sécurisantes » et de composer avec la complexité, l’ambiguïté, les contradictions, dans la recherche d’une compréhension plus approfondie de la réalité. (2002 ; 89)

L’éducation musicale et artistique peut contribuer au développement de cette conscience, tel que nous le verrons plus loin.  Autrement, elle s’acquiert par le biais de l’éducation formelle, mais aussi, et peut-être surtout, en dehors de celle-ci.

1.4  L’éducation non-formelle

L’éducation non-formelle, parfois appelée éducation alternative, s’est créé une place importante dans la société brésilienne.  Elle vient pallier les lacunes du système d’éducation conventionnel mis en place par l’État néo-libéral, ce dernier visant tout d’abord à intégrer la population à l’intérieur du système économique du pays et donc à en faire des travailleurs compétents.  L’éducation non-formelle se distingue également de l’éducation « informelle », soit celle reçue à l’intérieur du contexte familial et par la socialisation de l’individu.  L’éducation non-formelle vise donc une prise de conscience par la connaissance qui a pour objectif de mener à des actions concrètes pour l’amélioration des conditions de vie de chacun à l’intérieur de la société.

L’éducation non-formelle est directement liée au concept de citoyenneté, puisque celle-ci, pensée en termes collectifs, en est l’objectif principal (Glória Gohn, 2005 ; 102).  Un des principes de base de l’éducation non-formelle est que l’apprentissage se fait au moyen d’une pratique sociale et la connaissance est gérée grâce à l’expérience de certaines situations problématiques (idem ; 103).  Selon le pédagogue brésilien Paulo Freire (1995 ; 74), il est difficile de construire la citoyenneté sans éducation et celle-ci se crée grâce à la présence active, critique et décisive de chacun de nous en relation au domaine public.  Dans cette démarche, la culture, en tant que connaissance du monde des idées et des croyances et des manières dont celles-ci existent dans la vie sociale (Santos; 1983), occupe une place prépondérante dans toute société.  D’un point de vue marxiste, la culture joue un rôle stratégique qui est celui de construire des tactiques pour l’action.  D’autres penseurs, tels que Gramsci (1972), Hobsbawn (1999), Leach (1978), Touraine (1973), Santos (1983) et Chaui (1986) associent la culture à une forme de changement social, voire même parfois à une force sociale transformatrice pour la liberté humaine.

Ainsi naît la culture politique, non en tant qu’héritage historique, mais en tant que pratique vivante et actuelle résultant d’un processus qui la construit quotidiennement (Chaui, 1986).  Renato Ortiz (1995) localise cette culture politique dans des espaces spécialisés déterminés, telles que des partis politiques, des syndicats, des ONGs, des mouvements sociaux, etc. et l’associe directement à la formulation, la construction et la réalisation de la conscience politique.

1.5  Comprendre pour agir : la pédagogie selon Paulo Freire

Paulo Freire est sans doute un des pédagogues brésiliens qui a le plus marqué les éducateurs des dernières décennies, du moins au Brésil, mais aussi à l’extérieur du pays (voir notamment Ellis (1994), Impey (2002) et Allard et Ferrer, (2002)).  Ses idées sont venues briser quelques acquis d’une bonne partie de l’éducation traditionnelle, basée sur le transfert de connaissances.

La philosophie de Paulo Freire, lui-même provenant du nord-est du Brésil et ayant travaillé auprès de divers mouvements sociaux,  est, par surcroît et à mon avis, transférable aux projets étudiés et aux programmes éducatifs des ONGs de manière générale.  Aux populations opprimées et marginalisées, Freire affirme que notre passage sur terre n’est pas pré-déterminé ou pré-établi.  Notre « destin » n’est pas une donnée, mais quelque chose qui doit être fait et construit et dont la responsabilité revient à chacun d’entre nous (1996 ; 53).  Ainsi, éduquer, enseigner ou mener un projet social auprès de jeunes marginalisés exige une conviction qu’un changement est possible et également la reconnaissance que « nous sommes « conditionnés » et non « déterminés » » (idem ; 19).  Nous sommes d’avis avec Freire (idem ; 77) que chaque individu n’est pas qu’objet de l’Histoire, mais en est également le sujet.  Personne n’est dans le monde, avec le monde et avec les autres de façon neutre.  Brandão abonde dans le même sens lorsqu’il dit : « Nous sommes acteurs et protagonistes de notre histoire de la même manière que nous sommes définis et conditionnés par elle » (1981; 24).

Ainsi, enseigner ou animer un groupe n’existe pas sans apprendre et vice-versa, ce qui a pour effet que l’éducateur et l’éduqué grandissent ensemble et les « arguments d’autorité » ne valent plus. Aussi, « quand on vit l’authenticité exigée par la pratique d’enseignement-apprentissage, on participe à une expérience totale, directive, politique, idéologique, pédagogique, esthétique et éthique […] » (idem ; 24). Brandão va dans le même sens, tout en proposant que l’apprentissage fait partie du quotidien, en affirmant que :

Il y a toujours une dimension pédagogique dans toute rencontre avec des gens.  Toute relation peut faire valoir un certain moment d’apprentissage mutuel, à l’intérieur duquel on vit, de manière plus ou moins motivée, un échange de savoirs » (2002; 327)

Freire prône une éducation qu’il dit « libératrice »  en tant qu’acte conscient, en opposition à ce qu’il nomme la conception « bancaire » , pour laquelle « l’éducation est l’acte de déposer, transférer et de transmettre des valeurs et des connaissances, elle ne se vérifie pas ni ne peut provoquer d’action » (Freire, 2002; 59).  J’abonde ici dans le sens de Freire lorsqu’il affirme que « enseigner ne consiste pas à transférer des connaissances, mais à créer des possibilités pour sa production ou construction (Freire, 1996 ; 47).  En effet, l’important, du point de vue de l’éducation « libératrice », c’est que chaque être humain doit se considérer comme un sujet capable de penser, de discuter de sa pensée, de sa propre vision du monde, qui se manifeste implicitement ou explicitement, dans ses suggestions et dans celles de ses confrères et consœurs. (idem ; 120).

Ce type d’éducation implique un dialogue véritable entre les éducateurs et les éduqués et ce dialogue n’est possible qu’avec des sujets qui pensent et ont un sens critique.  Ainsi, comme le propose Freire lui-même, « la foi dans les hommes est une donnée a priori au dialogue (idem ; 81) et la confiance s’instaure grâce à ce dernier (idem ; 82). L’autosuffisance est évidemment incompatible avec le dialogue.  Freire a particulièrement insisté sur cette notion de dialogue dans le travail auprès des mouvements sociaux :

Je ne peux pas, dans mes relations politico-pédagogiques avec des groupes populaires, ne pas considérer son savoir et son expérience.  Son explication du monde fait partie de la compréhension de sa propre présence dans le monde.  Le dialogue dans lequel on défie le groupe populaire à penser son histoire sociale en tant qu’expérience sociale aussi de ses membres, vient révéler la nécessité de surpasser certains savoirs. (idem ; 81)

Dans les mouvements sociaux, l’éducation prend souvent un sens d’intervention, qui aspire, selon Freire (idem ; 109), à des changements radicaux dans la société, dans le champ de l’économie, des relations humaines, de la propriété, du droit au travail, à la terre, à l’éducation, à la santé, etc.  De manière générale, un des buts des projets sociaux est de transmettre le sentiment que, en tant que sujet conscient, chaque être humain a la capacité de comprendre et de communiquer l’intelligible.   Ces projets sociaux s’adressent en grande partie à des jeunes considérés comme en marge de la société.  Pour Freire, il est primordial de laisser cette condition d’être «  en dehors de » et d’assumer celle d’être « à l’intérieur de », puisque, en réalité ceux appelés « marginaux », qui sont les opprimés, n’ont jamais été « en dehors de », mais bien « à l’intérieur de ».  Le pédagogue propose alors non pas de les intégrer, de les incorporer dans cette structure qui les opprime, mais de transformer celle-ci afin qu’ils puissent en faire partie en tant qu’êtres à part entière (2002; 61).

Enfin, pour Freire, le savoir n’existe que dans l’invention, la ré-invention, la recherche active, impatiente et permanente que font les hommes dans le monde, avec le monde et avec les autres (idem ;58).  Ainsi, respecter la lecture du monde de l’éduqué signifie la prendre comme point de départ pour une compréhension du rôle de la curiosité, de façon générale,  et de l’être humain, de façon spéciale, en tant qu’impulsion fondatrice de la production de connaissances (1996 ; 123).  L’investigation d’un sujet  à l’intérieur d’un groupe implique nécessairement  l’opinion du groupe concerné. Je suis d’accord avec Freire lorsqu’il affirme que « la recherche des idées d’un groupe de personnes ne peut être faite sans celui-ci, mais avec lui, en tant que sujet pensant » (2002; 101).   De même, je suis également d’avis que « le risque de la recherche n’est pas que les supposés « sujets étudiés » se découvrent en tant que chercheurs et, de cette manière, « corrompent » les résultats obtenus, mais plutôt dans la situation inverse (idem ; 100).

Cette approche qui mise sur le vécu des jeunes peut également être utilisée dans le cadre d’activités liées à la musique, que ce soit une pratique musicale ou encore le développement d’un discours sur la musique.  Elle implique alors une connaissance de la réalité environnante qui permettra notamment l’expression et la dénonciation par le biais de la pratique musicale[13] ou encore une meilleure compréhension du rôle du paysage sonore et musical ambiant en lien avec la réalité sociale.  Dans cette optique, la méthode de recherche-action contribue particulièrement à l’acquisition de la conscience transitive, définie plus haut.

1.6  La recherche-action ou la recherche participative

Tout comme éducation et investigation sont liées dans une perspective freirienne, de manière dynamique, recherche et action le sont dans ce qu’on nomme souvent, la recherche participative.   Selon Michel Thiollent (1985), il n’existe pas d’unanimité dans la dénomination de cette méthodologie appelée tout autant recherche participative que recherche-action. Toutefois,  toute recherche-action est participative, mais pas tout ce qu’on nomme recherche participative, donc basée sur une méthodologie d’observation participante, ne peut être considéré comme recherche-action (idem ;15). Dans la recherche-action, le chercheur, tout autant que les participants, ont un rôle actif dans la réalité des faits observés.  La recherche va donc au-delà des aspects académiques.  Toutefois, elle ne se limite pas à une forme d’action, puisqu’elle prétend augmenter les connaissances des chercheurs et les connaissances ou le « niveau de conscience » des personnes et groupes considérés (idem ; 16).

Brandão voit la méthodologie de la recherche-action comme une proposition politico-pédagogique qui cherche à réaliser une synthèse entre l’étude des processus de changements sociaux et l’implication du chercheur dans la dynamique de ces processus (1981; 26).  Le but ultime de cette démarche est de favoriser l’acquisition de connaissances et une conscience critique  du processus de transformation du groupe qui vit ce processus, afin que la recherche-action puisse assumer, d’une forme de plus en plus lucide et autonome, son rôle de protagoniste et d’acteur social (1981; 27).  Bref, il s’agit de mieux connaître la réalité sociale en la côtoyant de près, en vivant avec elle, afin d’être mieux outillé pour agir et pour intervenir dans la dite société.  Il s’agit d’un type de recherche sociale sur une base empirique qui est conçue et réalisée en étroite association avec une action ou la tentative de résolution d’un problème collectif dans lequel les chercheurs et les participants, représentants de la situation ou du problème, sont impliqués d’une manière coopérative ou participative (Thiollent, 1985;14).   Cette conception se retrouve souvent confinée à une orientation de l’action émancipatoire, et aux groupes sociaux qui appartiennent aux classes populaires et dominéees (idem).  Elle est donc très présente en Amérique latine et dans les pays sous-développés.

La notion de dialogue (notamment Freire, 1996 et 2002, Bakhtin, 1981) demeure ici indispensable pour l’atteinte d’un objectif pratique et aussi de connaissance.  La participation de plusieurs n’est pas nocive à l’objectivité, si on admet, comme le fait Thiollent (1985; 23), que le qualitatif et le dialogue ne sont pas anti-scientifiques.  De plus, toujours selon Thiollent (1985; 71), la divulgation des informations et le retour de celles aux groupes impliqués restent parmi les objectifs de cette méthode.

Enfin, étant donné leurs formes et objetifs, il ne faut pas s’attendre à ce que toutes les recherches-action parviennent à contribuer à une production de nouvelles connaissances (idem; 41).  Les recherches liéees au projets et mouvements sociaux adoptent généralement la recherche-action, puisque leurs buts et objectifs correspondent à ceux cités précédemment.  Henrique Rattner (2002) explique bien le rôle de la recherche dans cette perspective:

Ça ne vaut pas la peine de faire des recherches et de construire des théories afin de susciter des actions transformatrices.  Les résultats éventuels devront être combinés à un apprentissage social qui incorpore des éléments d’action collective, une expérience sociale et des politiques publiques innovatrices.  Les projets seront étendus à tous les groupes sociaux afin de mieux comprendre comment ils élaborent la construction de la connaissance et des valeurs dans les pratiques sociales.  Une autre composante importante sera l’évaluation des réponses du pouvoir public aux pressions croissantes pour la participation démocratique et la demande universelle pour les droits à la citoyenneté.

La recherche-action est donc au cœur de certains projets sociaux et je démontrerai, dans la dernière partie de ce travail, de quelle manière elle s’applique à des projets concrets.  Je tenterai également de présenter comment elle s’applique dans une perspective ethnomusicologique.  Toutefois, avant de se pencher sur ces questions,  je propose d’exposer brièvement l’essor des ONGs au Brésil ainsi que le rôle qu’y jouent les arts et la musique.

Chapitre 2 — L’usage des arts et de la musique

dans les organisations non-gouvernementales au Brésil

Il était nécessaire de parler des aspects sociaux évoqués dans le premier chapitre pour mieux saisir, dans les pages qui suivent, le rôle des activités artistiques, et plus particulièrement celui de la musique, auprès des jeunes issus des milieux populaires.  Dans le cadre de ce travail, j’aborderai les actions liées à la musique et aux arts initiées par des acteurs sociaux d’importance au Brésil : les organisations non-gouvernementales.

2.1  Les ONGs au Brésil : un autre monde est possible![14]

Depuis les années 1970, des organisations contre la discrimination raciale et les inégalités sociales ont commencé à voir le jour.  Toutefois, le début des années 1990 a vu augmenter de façon considérable le nombre d’ONGs (Organisations non gouvernementales) au Brésil et ailleurs dans le monde.  Celles-ci proposent généralement une forme de développement durable, des programmes sociaux, artistiques ou écologiques parallèles à ceux de l’État.  Le troisième secteur, celui de l’économie sociale, a acquis une importance stratégique au cours des années 1990 avec l’intégration d’un nouveau type d’ONGs  qui oeuvre dans le domaine de la culture politique, des valeurs de la société et de son champ de juridiction (Glória Gohn, 2005; 74-75).  Ces ONGs tentent de fournir des réponses dans les domaines où l’État et les agences publiques investissent le moins.  C’est le transfert de certains secteurs de l’État vers des initiatives privées qui a, d’une certaine manière, forcé l’univers des ONGs à se modifier en adoptant des politiques de partenariat et de coopération avec l’État afin d’élargir l’espace public à l’intérieur de la société civile, de démocratiser l’accès des citoyens aux politiques publiques et de contribuer à la construction d’une nouvelle réalité sociale, créant ainsi des canaux d’inclusion des exclus (idem; 81). Ainsi, ces nouvelles ONGs deviennent en quelque sorte des médiateurs d’actions développées en partenariat entre la communauté locale et le pouvoir public, en fonction de programmes structurés par des domaines sociaux comme l’éducation, la santé, l’environnement, etc. (idem; 17).  Autant dire que les ONGs, via le troisième secteur, se retrouvent à l’ordre du jour des politiques sociales.   Ainsi, celles-ci reçoivent généralement un appui de l’État, par le biais de programmes spécifiques, tels que celui de Pontos da cultura par exemple, pour effectuer le travail que le gouvernement lui-même ne fait pas directement.  Les actions les plus visibles sont liées à des enjeux écologiques et à des actions sociales envers les populations les plus démunies et sont perçues comme des alternatives à l’exclusion sociale et à la violence.  Celles-ci passent fréquemment par une forme d’éducation par le biais des arts.

2.2  De l’importance de l’art comme éducation

Dans la suite des précisions contextuelles présentées précédemment, on soupçonnera l’importance de l’art-éducation (arte educação) au Brésil dimension très souvent prise en charge par des organisations non-gouvernementales dont le rôle est d’assurer une éducation non-formelle et une prise de conscience de leur environnement aux jeunes issus des milieux populaires.

Tentons d’abord de définir les termes « d’art-éducation», notamment pour mieux les situer par rapport à ceux « d’éducation artistique».  Trop peu de littérature  aborde la distinction entre les deux expressions.  Lors d’échanges avec un de mes informateurs, celui-ci m’a confié que l’art-éducation correspondait, pour lui, à autre chose que l’éducation artistique, termes qu’il associait automatiquement à son expérience  et sa conception de l’enseignement des arts à l’intérieur du système d’éducation formel, c’est- à-dire à l’école ou encore au cours de  leçons en privée.  Autrement dit, l’éducation artistique représentait pour lui l’apprentissage d’une pratique artistique sans que celle-ci soit absolument mise en contexte.  Évidemment, il ne faudrait pas en conclure que tous les enseignements artistiques dispensés par l’éducation formelle soient décontextualisés et qu’ils se limitent tous à l’aspect technique.  Toutefois, j’ai eu l’impression que mon informateur, défenseur de l’art-éducation et des idées du pédagogue Paulo Freire, voulait dire que l’art-éducation va bien au-delà que l’éducation artistique telle qu’elle apparaît trop souvent. Bien qu’il n’existe pas de consensus quant à l’emploi de ces expressions, j’ai cru percevoir que le terme « art-éducation » était davantage associé aux mouvements sociaux ou encore à de nouvelles formes de pédagogie dans le milieu scolaire. En réalité, toute œuvre d’art ou pratique artistique, qu’elle soit étrangère ou familière, devrait être abordée dans son contexte et ensuite discutée.  Nous sommes d’avis avec Barbosa (1991) que le travail lié à l’enseignement des arts doit se faire dans la relation entre la lecture de l’œuvre, soit l’herméneutique,  et sa contextualisation.  C’est ce que cet auteur nomme « l’abordage triangulaire » dans l’art-éducation.

Étroitement liée à l’éducation non-formelle de par sa nature, l’art-éducation vient donc compléter l’éducation formelle puisque l’art permet l’accès au monde des sentiments ainsi que le développement personnel et social de l’individu.  Par une approche de l’art, le jeune découvre ses propres perceptions et sentiments qui lui permettent de développer sa propre vision du monde.

Selon Duarte (1991; 33), les gens possèdent des connaissances partielles et déconnectées et  n’ont pas une vision culturelle de tout ce qui les entourent, une vision du monde qui les intègrent dans un tout significatif. De plus, la vision transmise par les écoles publiques est toujours celles déterminée par les classes dominantes.  L’objectif de l’éducation artistique est le développement d’une conscience esthétique.  Celle-ci  permet une intégration des sentiments, de l’imagination et de la raison afin que les sentiments et les valeurs données à la vie soient assumées dans les actions quotidiennes et fournit la capacité de choisir et de critiquer afin de non seulement se soumettre à des valeurs imposées, mais pour sélectionner ses propres valeurs et les recréer en fonction de sa situation existentielle (idem ; 73-74).

Il convient aussi de préciser que, pour Duarte, l’éducation artistique ne signifie pas un entraînement dans le but de devenir artiste, mais elle se veut plutôt une manière plus ample d’aborder le phénomène éducationnel en le considérant non seulement comme une transmission symbolique de connaissances, mais en tant que processus formatif humain (1991; 72). Cette conception se rapproche de celle de mon informateur cité plus haut et aussi de la plupart de mes collaborateurs au cours de cette recherche. C’est cette vision plus large de l’éducation artistique que nous considérerons tout au long de ce travail, c’est-à-dire non pas l’apprentissage technique d’un art -bien que celui-ci puisse aussi faire partie intégrante de l’éducation artistique-, mais la formation personnelle et sociale qui l’accompagne.

2.3  ONGs, art et culture

Dans cette foulée, plusieurs ONGs ont adopté un rôle d’éducateur non-formel pour les jeunes Brésiliens.  C’est le cas de programmes sociaux-culturels qui seront ici étudiés.  Ces derniers ont opté pour des programmes  basés sur les arts de la scène afin d’offrir une éducation artistique, au sens où l’entend Duarte, aux jeunes issus des milieux populaires.

De nombreuses ONGs qui travaillent avec la musique comme outil d’intervention sociale ont vu le jour au Brésil, particulièrement au cours des quinze dernières années.  Plusieurs d’entre elles sont nées à l’intérieur même des communautés et ont été fondées par des résidents de celles-ci.  Celles-ci obtiennent généralement un soutien financier d’entreprises et parfois aussi de l’État, par l’entremise de programmes tels que « Cultura Viva[15] » et ont habituellement une mission sociale, telle que celle de combattre l’exclusion sociale et la violence.  La méthode ainsi que le répertoire ou le style de musique utilisés sont plus souvent qu’autrement décidés et choisis par des responsables du projet, en dehors de la communauté.  Toutefois, quelques organisations visent une certaine autonomie au sein des groupes et vont susciter une participation active, autant dans la prise de décision que dans le travail quotidien et l’initiative personnelle, des membres du groupe en question.

De façon générale, les programmes sociaux-artistiques ou socioculturels ont  des objectifs semblables, puisqu’ils s’adressent tous aux jeunes exclus et ils tentent de favoriser leur inclusion dans la société.  Ces objectifs sont, entre autres, de renforcer l’auto-estime des jeunes, de favoriser l’accès à la citoyenneté, de valoriser l’image de la favela – tandis que les médias tendent plutôt à la démoniser – et, conséquemment, de ceux qui y habitent, ainsi que  de faire connaître et de mettre en valeur la culture locale, dont la culture afro-brésilienne.  Certains aspirent même à former des  futurs artistes professionnels.  Si cette volonté d’enrichir le quotidien et, surtout, les aspirations des jeunes est louable, il faut toutefois demeurer prudent dans le message véhiculé aux jeunes et par les jeunes, puisque l’éducation reste liée à la politique.

2.4  L’engagement social du jeune

Le jeune qui participe à un projet socio-culturel ou socio-artistique se doit d’être conscient et responsable et doit agir de façon à représenter le groupe dont il a le privilège de faire partie.  En effet, si les ONGs et les groupes socio-culturels arrivent à améliorer les conditions de vie et les possibilités futures de plusieurs jeunes, quantités d’autres exclus demeurent en dehors de ces circuits.  Représenter le groupe de manière respectable veut parfois dire se plier à certaines règles qui sont imposées pour le mieux-être des jeunes (interdiction de consommer drogues et alcool, par exemple) ou encore s’impliquer dans la vie publique ou dans certains débats de façon volontaire, mais cela peut aussi, et peut-être préférablement, impliquer la prise de décision ou l’adoption d’un style de vie en fonction des valeurs déterminées par les membres du groupe eux-mêmes.   Bref, il s’agit d’une action politique et engagée.

Ainsi, par exemple, certains membres du Grupo Cultural Afro Reggae ont refusé un partenariat financier qui souhaitait voir un groupe de musique formé  de favelados aux dents cariées, au nez qui coule et portant de vieux vêtements[16], puisqu’ils souhaitaient valoriser leur propre apparence – simple question d’auto-estime – et non entretenir les préjugés déjà tenus à leur égard.  Autre exemple, le groupe des Griôs de São João de Meriti, ainsi que le groupe Musicultura de Maré, ont eux-mêmes organisé leur participation au Forum Social Brasileiro à Recife en avril 2006, puisqu’ils considéraient de leur devoir de partager leur expérience au sein de leur groupe respectif avec d’autres jeunes du reste du Brésil.

2.5 De la favela au succès : Défis pour les ONGs

Les projets socio-artistiques des ONGs ne doivent toutefois pas perdre de vue leur objectif premier de lutte contre l’exclusion sociale (notamment par le biais de la conscientisation et de l’autonomie) et poursuivre leur combat contre les préjugés que la plupart des Brésiliens, et étrangers, ont par rapport aux favelas et à ses habitants.  Il peut parfois être difficile, par exemple, de valoriser le patrimoine musical local sans entretenir l’association mythique entre favela et samba ou favela et funk, qui laisse croire qu’on ne retrouve rien d’autre dans les favelas que la samba et le funk, ou encore l’illusion que la macumba n’est qu’une affaire de pauvres et de Noirs de la périphérie.  La solution semble résider dans le savoir et la connaissance qui se doivent d’être acquis par les jeunes et ceux-ci vont bien au-delà du domaine musical et artistique.

Il est du devoir des ONGs de renseigner les jeunes sur les perspectives d’emploi dans les domaines culturels et artistiques, sur les avantages et inconvénients que peuvent impliquer la vie d’artiste et sur l’éventuelle difficulté d’obtenir un emploi stable dans cette voie.  Bien que cette expérience et cette formation puisse ouvrir des portes à plusieurs jeunes, il serait irresponsable, à notre avis, d’orienter tous ces jeunes vers le milieu artistique qui, peu importe le pays, est rarement facile.  Le métier de musicien, par exemple, bien qu’il puisse favoriser la hausse de l’estime de soi et l’expression personnelle, impose des conditions de travail bien souvent au-dessous de celles des travailleurs moyens.  Certains diront que vaut mieux un travail de musicien dans ces conditions que rien du tout.

Le problème réside dans le fait d’entretenir des rêves parfois irréalistes.  Les ONGs ne sont pas les uniques responsables de ces aspirations illusoires.  Les médias, par exemple, bien qu’ils démonisent le funk et le rap, ouvrent aussi des espaces dans les journaux et à la télévision pour quelques groupes, ce qui a pour effet de produire une certaine « glamourisation » de ces derniers (Dayrell, 2005; 211-212).  Sans compter que ceci renforce l’image populaire selon laquelle la musique et le futebol apparaissent comme les uniques voies légitimes pour le succès des pauvres (idem).  Aussi, comme les programmes sociaux des ONGs ont également pour objectif d’augmenter la confiance en soi, de faire connaître ses droits et de susciter des idéaux plus élevées, certains jeunes en viennent à exiger beaucoup plus que ce que la société peut effectivement leur donner.  Là réside un paradoxe : afin de hausser l’estime de soi des jeunes, on leur montre qu’ils ont droit à tout et au meilleur, mais ils sont orientés vers des carrières ou peu arrivent à en vivre réellement et encore moins le font dans de bonnes conditions.  Dayrell (2005; 214) relate le cas de jeunes marginalisés qui ont choisi d’opter pour la musique, s’appuyant sur leurs rêves, ce qui a rendu encore plus difficile l’acceptation d’un travail régulier pour eux par la suite.  Effectivement, ces jeunes, maintenant hantés par un idéal élevé et stimulant, ne voient  plus l’intérêt d’un simple travail qui permet de ramener du pain à la maison.  Ils ont compris qu’ils avaient le droit de faire ce qu’ils aimaient dans la vie, mais n’ont peut-être pas eu l’occasion de découvrir d’autres avenues intéressantes pour eux que celle de la musique. Le travail artistique est alors valorisé puisqu’il satisfait un besoin de réalisation personnelle.  Dayrell explique bien ce phénomène qui touche une partie de la jeunesse brésilienne :

On peut comprendre la position de ces jeunes comme un refus des conditions que la société leur offre pour favoriser leur insertion sociale.  La valorisation du travail expressif manifestée par ces jeunes paraît démontrer une tendance qui commence à être observée entre les jeunes pauvres au Brésil, pour qui on constate un changement dans les représentations du travail. (2005; 215)

Les remarques de Gouveia, suite à une recherche faite parmi les jeunes pauvres de Rio de Janeiro, abondent dans le même sens :

Selon les jeunes, le travail représenterait non seulement « gagner sa vie », sortir d’une situation de marginalité et d’oppression, mais aussi une réalisation personnelle et l’autonomie. (2000; 74)

Ces quelques lignes dévoilent un écart entre la réalité et les limites de la société brésilienne et la manière de concevoir la vie et le monde qui s’est développée dans cette même société.  Dayrell (2005; 215) parle d’une distance existant entre la modernisation culturelle brésilienne venue sans être accompagnée d’une modernisation sociale.  Le Brésil n’est certainement pas l’unique pays au monde dans lequel cette distance s’est créée. Il arrive toutefois que celle-ci s’effectue en sens inverse, c’est-à-dire que le développement urbain ne s’accompagne pas nécessairement toujours d’un ajustement au niveau symbolique[17].

Chapitre 3 –- L’art-éducation et la musique

en tant que vecteur de changement social à Rio de Janeiro

3.1  Description du projet de recherche

Dans la foulée de cette mise en contexte, la question centrale de cet essai consiste à savoir de quelle manière la musique et la musicologie peuvent amener des changements sociaux lorsqu’elles sont abordées dans le contexte précédemment cité.  Tel que nous l’avons vu, l’intervention par le moyen des arts joue un rôle important dans la formation du citoyen au Brésil.   Le but de ce travail est donc d’observer diverses méthodes de travail et d’éducation utilisant  la musique[18] dans un but d’intervention sociale et de formation à la citoyenneté, de mieux comprendre les objectifs de chacune de ces méthodes et d’ évaluer les résultats qu’ elles tendent à obtenir en réalité.

Dans cette optique, j’ai  rencontré personnellement chacun des trois groupes principaux étudiés et participé à au moins quelques-uns de leurs rassemblements.  Mon travail d’observation ne s’est pas réparti de la même manière pour chaque projet étudié.  Alors que je n’ai rencontré les membres du GCAR que pendant trois jours durant mon séjour, j’ai suivi  régulièrement le groupe de Musicultura, à raison de deux fois par semaine durant quatre mois. L’écart entre le nombre de rencontres varie en fonction des disponibilités dont je disposais et aussi de mon choix de prioriser, par exemple, le groupe de Maré (Musicultura), que j’avais décidé de suivre fidèlement depuis le début puisque je le connaissais moins et que la méthodologie utilisée s’y prêtait bien et méritait, à mon avis, une observation assidue.  Il me paraissait important de suivre un groupe pendant la durée de mon stage afin de juger de l’évolution des projets et de la prise en charge des jeunes.

Ces changements liés à l’initiative personnelle et à l’épanouissement de la personne, j’ai pu les observer concrètement chez une jeune du groupe des Griôs lors de ma première rencontre avec eux, à l’occasion de mon second séjour.  Alors que cette jeune fille osait à peine partager son opinion  et qu’elle s’exprimait timidement au printemps 2005, Gil, une jeune fille de 18 ans, fait désormais preuve d’une plus grande confiance en elle, d’initiative, de leadership et elle n’hésite pas à proposer de nouveaux projets et à faire part de ses découvertes. Selon César, leader du projet des Griôs, Gil a commencé à faire preuve d’une plus grande confiance en elle à partir du jour ou une de ses enseignantes a vu dépasser de son cartable le texte IGBADU pour la pièce de théâtre qu’elle préparait avec les Griôs.  Curieuse, celle-ci aurait questionné Gil sur ce projet et lui aurait demandé de faire une présentation de ce qu’elle connaissait de la culture du candomblé devant la classe.  Le grand enthousiasme que les jeunes ont exprimé suite à sa présentation a poussé Gil à poursuivre ses recherches et à en initier d’autres dans d’autres domaines.  Avec cet appui de ses confrères et consœurs de classe, Gil se sentait désormais une personne à part entière et non plus une jeune adulte marginalisée. Cet exemple peut laisser croire que, à force d’événements de ce genre, les jeunes acquièrent une plus grande confiance et une réelle envie de connaître et de comprendre la réalité dans laquelle ils vivent.  Et c’est cette compréhension et cette connaissance, tel que nous l’avons vu précédemment, qui sont nécessaires à tout citoyen, particulièrement ceux dits “opprimés”, pour agir et revendiquer ses droits.

Étant donné la diversité des groupes observés ainsi que leurs façons diverses de se comporter, ma méthodologie a dû s’adapter à chacun des groupes. Ainsi, mes premières rencontres ont surtout consisté en une observation passive.  Je souhaitais d’abord connaître la façon de faire et ensuite questionner et échanger.  Évidemment, ma présence ne passait pas totalement inaperçue, mais les activités semblaient se dérouler normalement.   Graduellement, je fus intégrée à certains groupes. Un signe tangible d’acceptation et d’inclusion, particulièrement pour les adolescents et jeunes adultes, se traduit par une inscription à leur liste d’adresses courriel afin que je reçoive les nouvelles du groupe.  Á partir de ce moment, je pouvais aussi répondre et entretenir une autre forme d’échange avec eux.  De façon générale, j’ai tenté d’obtenir des informations de la part des gens sous forme informelle, grâce à de simples discussions. Souvent, je profitais d’un moment lors duquel une personne semblait un peu moins occupée (suite à une rencontre, par exemple) pour lui poser quelques questions.

Quant aux responsables de groupes, c’est principalement avec eux que j’ai tenté de comprendre la méthodologie utilisée et le pourquoi, le lien avec l’organisme qu’ils représentent, les objectifs personnels de ceux-ci et aussi des organisations, ainsi que leur vision du changement social par la musique et la culture.  Les échanges avec João Grilo et Jairo (GCAR) avaient lieu lors de mes visites à Vigário Geral, avant ou après les répétitions. Quant à César (Se Essa Rua Fosse Minha) et Samuel (Musicultura), je profitais généralement du moment que nous passions ensemble sur la route pour nous rendre à São João de Meriti ou Maré pour poser des questions et pour échanger avec eux, généralement sans préparation préalable.

2.2  Présentation détaillée des ONGs et projets étudiés

Avant de présenter les trois groupes avec lesquels la majeure partie de mon travail s’est effectuée, il m’apparaît important d’expliquer brièvement comment et pourquoi j’ai choisi ceux-ci.  Bien qu’ayant tous plus ou moins le même objectif, soit celui d’utiliser les arts, dans son sens large, afin d’offrir des alternatives à des jeunes provenant de milieux marginalisés où la violence, la pauvreté et le trafic de la drogue font partie du quotidien et de permettre ainsi l’accès à la citoyenneté, les trois organisations utilisent des méthodes sensiblement différentes pour parvenir à leurs fins. La musique y est abordée de façons multiples : en tant qu’outil venant consolider une démarche artistique et une recherche d’identité dans le premier cas, en tant que principal moyen d’expression et alternative au milieu criminel pour le second et, enfin, en tant qu’intermédiaire donnant accès à la connaissance pour le dernier groupe.   Les trois organismes étudiés ont une vision de la société qui varie quelque peu  et travaillent avec des styles de musique différents.  Cette diversité m’apparaît intéressante, d’autant plus qu’elle aura un impact sur la vision que les jeunes ont de la société et les manières de se sortir de la marginalité pour accéder à la citoyenneté à part entière.

2.2.1 La compagnie des jeunes Griôs[19] – Se Essa Rua Fosse Minha / Casa da Cultura de São João de Meriti

 

Les Griôs en répétition.

2.2.1.1 Description générale de l’organisme

Se Essa Rua Fosse Minha a vu le jour en 1991 en tant qu’organisation non-gouvernementale ayant pour but premier de lancer une large campagne de mobilisation autour de la problématique des enfants de la rue et d’initier une action socio-éducative d’inclusion et de garantie des droits.

En 1992, les  Núcleos de Abordagem de Rua ont été créés en tant que lieux de rencontre et de confiance et ayant pour but de redonner la dignité aux enfants et adolescents en augmentant leur estime et leur confiance en eux-mêmes, dans la construction d’alternatives à la vie dans la rue.  La même année, le Centro de Desenvolvimento Criativo a intégré des projets d’art-éducation, dans lesquels les arts et l’éducation étaient aux centres des préoccupations.  La Casa de Acolhida de Vila Isabel a été inaugurée en 1994, en partenariat avec la Préfecture de Rio de Janeiro, afin de recevoir une vingtaine d’enfants prêts à quitter la rue, mais dans l’impossibilité de retourner à la maison familiale ou dans leur communauté d’origine.    Enfin, c’est en 1999 que le travail de l’ONG a pris de l’ampleur avec les Núcleos de Atividades Comunitárias, qui amenèrent les activités d’art-éducation dans les communautés défavorisées afin d’améliorer la qualité de vie et d’augmenter la participation des enfants, des adolescents et des jeunes dans la vie familiale, scolaire et communautaire.  Se Essa Rua Fosse Minha rejoint aujourd’hui 300 enfants et adolescents dans la ville et l’État de Rio de Janeiro.

En presque quinze ans, l’organisme a su conserver son objectif d’éducation sociale d’inclusion des jeunes de la rue, qui semble au centre de ses préoccupations.  Les arts représentent en quelque sorte un prétexte, mais aussi un moyen d’expression pour les jeunes et une manière de développer la confiance en soi. Actuellement, divers projets ont lieu dans les communautés, tels que le groupe des Griôs, qui visent une revalorisation de la culture afro-brésilienne par le biais du théâtre, des arts du cirque et maintenant aussi de la musique, ainsi que plusieurs groupe de sport, de danse et de cirque pour les jeunes.  La musique avait été écartée des programmes de Se Essa Rua Fosse Minha, faute de spécialistes, mais de nouveaux projets  ont vu le jour depuis l’expérience des percussions fabriquées avec les jeunes de Cerro Corá (mon initiative lors du premier stage).  Il s’agit d’ateliers rythmiques et de percussions donnés par des musiciens du groupe Monobloco pour les membres de la troupe, ainsi que des classes de hip hop pour les adolescents de Cerro Corá.  Aussi, les Griôs intègrent de plus en plus la musique, particulièrement des musiques issues de la tradition afro-brésilienne, au sein de ses spectacles et recherches.

Le projet le plus important demeure peut-être celui de cirque social, présent depuis le début, et qui continue d’évoluer chaque jour. Quelques-uns de ses membres doivent aujourd’hui se préparer à voler de leurs propres ailes en raison de leur âge, puisque l’organisme a aussi pour rôle de les pousser à vivre leurs projets dans la société et à sortir du cocon familial que représente maintenant Se Essa Rua Fosse Minha pour eux.  Pour l’instant, ils participent toujours aux rencontres avec les membres de la troupe à raison de deux après-midi par semaine et prennent part aux projets dans les communautés en tant qu’éducateurs et moniteurs de cirque. Ils peuvent choisir de se professionnaliser en tant qu’artistes du cirque ou encore poursuivre leurs activités d’éducateurs. D’autres options s’ouvrent également  à eux, puisqu’ils n’ont que vingt-cinq ans, en moyenne.  Jusqu’à maintenant, une quinzaine de jeunes issus des projets de Se Essa Rua Fosse Minha ont réussi les auditions pour l’École Nationale de Cirque et la fréquentent depuis. Quelques-uns d’entre eux espèrent poursuivre leur formation en tant qu’éducateur ou spécialiste de l’activité physique à l’université ou dans des écoles spécialisées.

Chose certaine, la présence de Se Essa Rua Fosse Minha a changé leur vie et ils en sont très reconnaissants.  La preuve en est qu’ils souhaitent s’impliquer dans l’organisme afin de redonner ce qu’ils ont eu la chance de recevoir.  Ces aînés seront les premiers à marquer la réussite de l’organisme.  Conscients des lourdes responsabilités que cela incombe pour la survie de l’organisme, ils sont à la fois fiers et font face à une certaine insécurité.  Ils ont encore beaucoup à apprendre de la vie, mais des valeurs leur ont été transmises afin de les orienter vers des choix de citoyens responsables et conscientisés.

Dans l’optique de Se Essa Rua Fosse Minha, les résultats obtenus avec la troupe de cirque pourraient être les mêmes avec la musique, la danse ou le théâtre.  La méthodologie serait semblable : rassembler un groupe plus ou moins jeune et leur apprendre, par l’intermédiaire d’une vie de groupe, ou de « troupe », et d’un objectif commun constamment renouvelable,  les règles de la vie en société et l’importance des gens qui nous entourent.

3.2.1.2  Démarche de terrain : Rencontre avec les Jeunes Griôs

Dans le cadre de mes recherches, je me suis concentrée sur quatre  rencontres  avec les jeunes de la Compagnie des Jeunes Griôs, à la Casa da Cultura de São Joan de Meriti, puisque je les connaissais déjà assez bien pour avoir accompagné leur travail lors de mon premier stage à Rio.  Les membres de ce groupe ne m’étaient donc pas inconnus et il fut particulièrement intéressant de revenir au même endroit, presque dix mois plus tard, afin de constater l’évolution du projet.

Bien que la Compagnie des Jeunes Griôs soit plus récente que la troupe de cirque de Se Essa Rua, la philosophie et une bonne partie de la méthodologie s’y apparentent.  Le travail des Griôs est toutefois plus polyvalent et davantage axé, du moins selon ma perception, sur l’engagement social par l’entremise de la culture.

Inspirés des Griots africains, les jeunes Griôs recherchent des contes et légendes de la mythologie et de la diaspora africaine au Brésil et « recueillent » ces histoires chez les personnes âgées issues de la communauté dans laquelle ils vivent.  Depuis peu, leur travail tente à s’élargir à la musique.  L’objectif est de partager ces histoires et ce patrimoine avec les enfants, les adolescents et jeunes afro-descendants et Blancs afin de renforcer l’imaginaire, l’identité et le respect des différences.  En plus des histoires racontées de la « mémoire affective » comme dans la tradition orale, la Compagnie fait la lecture de livres et présente des spectacles dans lesquels ils intègrent les techniques de cirque, la musique, la danse créative et les danses traditionnelles afro-brésiliennes.

Le travail des Griôs se répartit en quatre volets.  Tout d’abord, ils reçoivent une formation historique (Brésil-Afrique) et technique (cirque, l’art de conter, musique, danses).  Ensuite, ils apprennent à écouter, valoriser et recueillir des histoires auprès des personnes âgées de leur communauté.  C’est alors qu’ils partagent le fruit de leur recherche par le biais d’ateliers d’art et de littérature avec des enfants et des jeunes des écoles et de la communauté.  Enfin, leur travail  culmine dans la production de spectacles et la participation à des forums, conseils et mouvements liés aux droits des enfants et des populations afro-descendantes[20].

Le groupe est actuellement formé d’une dizaine de jeunes, âgés entre seize et vingt-quatre ans, qui proviennent tous de la Baixada Fluminense, périphérie nord de Rio de Janeiro.  Une seule membre du groupe n’est pas d’origine afro-descendante.

3.2.1.3  À la découverte de son identité culturelle

Les jeunes « Griôs » proviennent tous d’un milieu modeste, voire défavorisé, et ont connu le projet soit par le biais de la Casa da Cultura qu’ils avaient déjà fréquentée ou dont ils avaient entendu parler, ou encore par leur intérêt pour le projet artistique et le désir d’obtenir une certaine formation.  Alors que le projet représentait surtout une opportunité de s’initier aux arts de la scène tels que le théâtre au tout début de leur expérience, tous répondent aujourd’hui que la participation au groupe leur a amené une plus grande connaissance de la culture afro-brésilienne ainsi qu’un cheminement personnel soit dans la quête de leur identité ou encore dans le respect des différences.  « Cette expérience me permet de valoriser et de connaître beaucoup mieux ma propre culture (afro-brésilienne) » (Lidiane, 18 ans, dans le groupe depuis un peu plus d’un an).  [Depuis mon entrée dans le groupe], « j’ai beaucoup appris, principalement sur le respect. Respecter les diverses croyances et connaître un peu plus sur la culture afro » (Gil, 18 ans, dans le groupe depuis ses débuts, il y a quatre ans).  [Ma participation dans le groupe] « m’a apporté une certaine discipline dans ma vie et le respect du prochain » (Alan, dans le groupe depuis presque quatre ans).

Selon eux, le travail de Se Essa Rua Fosse Minha, dans son ensemble, joue un rôle important dans la société brésilienne, puisque celle-ci présente de nombreux problèmes selon eux : manque de ressources et de reconnaissance des jeunes par la société en général, violence de toutes sortes, discrimination et racisme, inefficacité des systèmes de santé publique et d’éducation, problèmes liés à l’emploi, inégalités sociales, mauvaise administration, injustices, entraves à certaines libertés.  Les programmes sociaux liés aux arts leur apporteraient une sensibilité, des connaissances, une curiosité, diminueraient les préjugés et favoriseraient une ouverture sur le monde en permettant des discussions et confrontations et gèreraient de nouvelles possibilités et opportunités pour les jeunes.

Les jeunes Griôts sont généralement impliqués dans leur communauté et intéressés par les questions liées à la société brésilienne.  Plusieurs d’entre eux  s’impliquent dans d’autres groupes ou s’efforcent de faire des contacts avec des personnalités politiques  et artistiques locales.  La plupart d’entre eux souhaiteraient poursuivre sur plusieurs années le projet des Griôs et ils songent, dans cette optique, à acquérir ne formation universitaire, particulièrement en éducation physique  (programme à l’intérieur duquel on offre aussi une option danse).  Plusieurs voudraient continuer de s’impliquer socialement, entre autres en transmettant les connaissances qu’ils acquièrent aux plus jeunes.

Pour Cesar, directeur général de Se Essa Rua Fosse Minha et initiateur de la Compagnie des Jeunes Griôs, le projet se veut une opportunité pour les jeunes qui proviennent d’un milieu où les issues sont limitées de développer des aptitudes artistiques par une formation parallèle au système d’éducation formelle, mais il offre surtout la possibilité d’apprendre, par la lecture, les discussions, la recherche et l’autogestion dans le but d’amener les changements nécessaires dans la société.  Bien qu’il ne s’agisse pas d’un projet de recherche lié au milieu universitaire, cette vision s’apparente à la recherche-participante de Brandão (1981), dans le sens où on inculque des valeurs et des connaissances afin de provoquer une réaction et le désir d’agir pour améliorer son environnement.

La finalité de la recherche/action est de favoriser l’acquisition de connaissances et une conscience critique du processus de transformation par le groupe qui vit ce processus, afin qu’il puisse assumer, d’une forme de plus en plus lucide et autonome, son rôle de protagoniste et d’acteur social. (Brandão, 1981; 27)

Les recherches et lectures que font les Griôs complètent leur formation artistique. Elles sont liées notamment au patrimoine afro-brésilien et le jeunes sont amenés à en discuter, à partir de leur expérience personnelle. Par exemple, lors de la préparation du spectacle Igbadu, qui portait sur la mythologie des Orixás, les jeunes ont lu des textes liés à la culture du candomblé, ont rencontré un pai-de-santo avec qui ils ont analysé les caractéristiques physiques et psychologiques de chacun des personnages représentant une Orixá ainsi qu’étudié les danses de chacune des Orixás.  Éventuellement, Cesar voudrait bien élargir les recherches sur le patrimoine vers les cultures indigènes, aussi souvent dévalorisé et peu connu des Brésiliens.

En tant qu’éducateur et leader communautaire, Cesar se réfère régulièrement aux idées de Paulo Freire et, ainsi, il encourage les initiatives personnelles et collectives des membres du groupe.  De leur côté, les Jeunes Griôs manifestent de plus en plus leur désir d’autonomie et discutent même de la possibilité de « voler de leurs propres ailes ».  Ils offrent de plus en plus de spectacles, pour lesquels de nombreux contacts sont faits par eux-mêmes, et arrivent ainsi à aller chercher un petit revenu supplémentaire, souvent considérable étant donné leur condition.  Des projets à suivre et qui risquent d’être fort intéressants…  D’ailleurs, leur site internet devrait bientôt être disponible.

3.2.1.4  Les effets bénéfiques de l’acquisition de connaissances sur la musique

En ce qui a trait à la musique, tous affirment qu’elle joue un rôle important dans leur vie, puisqu’elle est présente dans plusieurs occasions, mais aussi parce qu’elle est liée, pour eux, aux sentiments.  Pour eux, ce n’est pas nécessairement le style ou le rythme d’une musique qui importe, mais plutôt le message véhiculé.  À l’intérieur du groupe, les Griôs ont été mis en contact, certains pour la première fois, d’autres non, avec les musiques d’origines afro-brésiliennes.  Ils ont appris des rythmes, chansons et danses associées aux Orixas[21].  Bien que le travail dans le groupe ne soit généralement pas centré sur la musique, il a permis à plusieurs d’entre d’eux d’acquérir une certaine conscience des musiques autour d’eux, au quotidien.  Leur contact avec les arts, particulièrement le théâtre et la musique, a permis une forme d’introspection et a amélioré leur perception d’eux-mêmes pour plusieurs d’entre eux.  « Je ne suis pas, et je n’étais pas, celui que je prétendais être, mais j’ai, et j’avais, beaucoup de sentiments cachés à l’intérieur de moi.  J’avais simplement besoin de travailler pour les laisser sortir » (João, 21 ans, dans le groupe depuis trois ans). “J’ai appris à mettre de côté mon pessimisme et j’ai découvert que je pouvais être très bonne dans ce que je fais en m’appliquant” (Cristielle, 19 ans, dans le groupe depuis trois ans). “Je pense qu’une pratique musicale, comme toute autre forme d’expression artistique, permet aux gens de montrer qui ils sont, de se connaître chaque fois un peu mieux et de se sentir complets” (Gil).

3.2.1.5  La nécessité de la transmission

Le travail des Griôs pourrait se résumer à la transmission dans un but de perpétuation de la tradition.  Selon João, tout ce qu’ils apprennent à l’intérieur du groupe  vise la re-transmission, d’une manière ou d’une autre.  Pour Rita, la transmission est également liée à la préservation d’un patrimoine auquel les générations suivantes doivent avoir accès. “Préserver est notre devoir”, conclut-elle.   Toutefois, au-delà de la tradition,  les Griôs apprennent à se connaître, à comprendre d’où ils viennent et à accepter et aimer cette culture.  Ils en sont même fiers, alors que la plupart la dénigrait auparavant. Leurs spectacles et leur musique servent ainsi très souvent à rehausser leur image sociale au sein de la société globale brésilienne. Aussi, selon Cesar, la Baixada Fluminense est un lieu de référence pour la tradition orale qui y est très forte, puisque beaucoup de gens y sont venus de tout le Brésil et l’oralité représente encore le meilleur moyen de communication pour la plupart d’entre eux.  Aussi, cette population souffrirait d’une certaine forme de violence symbolique sous la pression de la ville de Rio, aujourd’hui grande métropole internationale dans laquelle les succès commerciaux abondent.  Il apparaît donc nécessaire pour Cesar, mais aussi pour les jeunes Griôs, de valoriser le patrimoine présent dans la région afin qu’on ne le délaisse pas au profit des valeurs globales de la ville.  C’est ici que l’on retrouve le plus de particularités culturelles, encore pratiquées dans un contexte près de l’original, dans le District Fédéral de Rio de Janeiro.  Enfin, ce programme qui s’adresse à des jeunes issus de familles à bas revenu et souvent marginalisées permet une certaine prise de conscience et une meilleure affirmation de soi en tant que citoyen brésilien.

3.2.2 Afro Reggae / Núcleo de Vigário Geral

Percussionnistes de la Banda AfroReggae

3.2.2.1 Description de l’organisme

Le Grupo Cultural Afro Reggae (GCAR) est né en janvier 1993, tout d’abord dans le but de produire le journal Afro Reggae Notícia, un véhicule d’information qui visait à valoriser et à divulguer la culture afro-brésilienne.  Ayant pour plan de faire une intervention plus directe auprès de la population afro-brésilienne, le GCAR a inauguré son premier Núcleo Comunitário de Cultura dans la favela de Vigário Geral, au mois de juin 1994, initiant ainsi ses premiers projets sociaux. L’objectif du projet était « d’éloigner les jeunes du chemin vers le narcotrafic et du sous-emploi[22] ». En peu de temps, des ateliers de danse, de percussion, de capoeira, de futebol et de théâtre ont été offertes aux jeunes de la favela.  Déjà à ce moment, le but de l’organisme était clair : offrir une formation culturelle et artistique pour les jeunes habitants des favelas, afin de leur donner les moyens de construire leur citoyenneté et de leur offrir de meilleures perspectives d’avenir. Officiellement, la mission du GCAR est de promouvoir l’inclusion et la justice sociale, en utilisant l’art, la culture afro-brésilienne et l’éducation comme outil pour la création de ponts qui unissent les différences et qui servent de base pour l’exercice de la citoyenneté[23].  Avec le temps, les projets se sont perfectionnés, l’institution a grandi et des résultats ont commencé à se faire sentir.  L’inauguration du Centro Cultural Afro Reggae Vigário Legal, en juillet 1997, qui offre un espace physique bien structuré à l’intérieur de la comunidade, a permis de développer un travail de meilleur qualité et mieux planifié et aussi de faire de cette initiative une référence en tant que pratique socioculturelle dans la ville de Rio de Janeiro.  Actuellement, le GCAR développe divers programmes dans quatre comunidades différentes : Cantagalo, Parada de Lucas, Cidade de Deus et Vigário  Geral.

À Vigário Geral,  le programme social a développé, en plus d’offrir divers ateliers, Criança Legal, un programme d’appui aux enfants d’âge pré-scolaire dans lequel ceux-ci participent à des activités de socialisation et d’alphabétisation. Aussi, des réunions quotidiennes ont lieu avec les parents afin de discuter de divers thèmes, tels que la violence à la maison et l’hygiène corporelle,  et aussi de leur distribuer quelques denrées alimentaires de base.   À Parada de Lucas, favela voisine à Vigário et en « guerre » avec elle pour cause de la rivalité entre les trafiquants, un projet intitulé Rompendo Fronteiras (rompre les frontières) vise à amener le travail social du GCAR où le besoin se fait sentir, indépendamment des conflits.  Ici, on lutte contre la pauvreté et la violence en proposant des ateliers et des services informatiques à la communauté.  À Cantagalo, c’est le cirque qui est utilisé comme outil de travail et de changement social..

En dépit de toute la diversité des activités proposées, la musique semble être, à Vigário Geral, le meilleur instrument pour attirer les jeunes vers les activités du GCAR.  Le succès obtenu avec la Banda AfroReggae, tant sur le plan artistique qu’en tant que projet social, incite les jeunes à vouloir suivre un chemin semblable.  De plus, les groupes Banda Makala Música e Dança, Afro Lata et Afro Samba, tous issus de projets sociaux au départ, ont déjà fait des apparitions publiques et le núcleo de Vigário Geral compte à ce jour une douzaine de SubGrupos composés de jeunes de la comunidade.

3.2.2.2  Démarche de terrain : participation au projet « chorale »

Lors de mes rencontres,  j’ai concentré mes échanges sur les activités liées à la musique.  Ces dernières se réalisant surtout dans la favela de Vigário Geral, je m’y suis rendue à quelques reprises afin de rencontrer les responsables des projets et les jeunes qui en font partie.  Grâce à mes connaissances musicales, j’ai eu l’occasion de m’impliquer dans le nouveau groupe « chorale », projet qui a démarré quelques semaines seulement avant mes visites, à l’initiative de João Grilo.  Plusieurs des membres de la chorale font également partie d’autres groupes musicaux liés au Centre culturel Vigário Legal.  Ceux-ci sont âgés entre sept et vingt-huit ans et proviennent de la communauté de  Vigário Geral.  Par cette activité, on souhaite faire connaître aux jeunes différents types de répertoire et parfaire le travail vocal.

3.2.2.3   Da favela para o mundo [24]

Le GCAR, comme nous l’avons vu précédemment, est d’abord né du désir de revaloriser la culture afro-brésilienne.  Les premiers concerts qu’ils ont organisés introduisirent des styles encore peu connus à Rio au début des années 1990, tels que le reggae, le samba-reggae[25] et le rap.  Ces musiques provenaient principalement des communautés afro-brésiliennes de l’État de Bahia et de São Paulo. Aujourd’hui, ses activités touchent, en effet, une population presque entièrement d’origine afro-descendante et on intègre des éléments issus de cette culture aux activités proposées.  Les jeunes sont donc confrontés à une nouvelle variété de rythmes, de timbres, de sons et de danses, sans toutefois étudier théoriquement et méthodiquement tous ces aspects.  Le but est d’entendre, de reproduire, d’élargir leur « vocabulaire » en puisant particulièrement dans le répertoire afro-brésilien et aussi des diasporas africaines du monde.   Ainsi, le spectacle Nova Cara de la Banda AfroReggae représentait :

« une fusion de la première génération de funkeiros avec la génération actuelle.  Il apportait des influences des manifestations afro-brésiliennes et nordestines reliées au hip-hop, au reggae, au ragga et à tout ce que nous trouvions fondamental.  […]  On entendait diverses tendances musicales de l’intérieur et de l’extérieur du Brésil.  Tout était bon, tout pouvait être utilisé : drum’n’bass, maracatu, rap.  Tout cela créait une certaine crise d’identité.  Les membres du groupe se demandait : finalement, nous sommes un groupe de quoi?  Ça faisait beaucoup d’informations absorbéees en même temps. » (Junior, 2006; 125).

Depuis, chaque groupe de musique a sa particularité.  Afro Lata s’est organisé autour de boîtes de métal et de plastique, de poubelles et de tonneaux, par des jeunes qui imitaient les rythmes de la Banda AfroReggaeAfro Samba a, pour sa part, apporté un  nouveau projet pour l’institution : « récupérer de la population de la favela des rythmes tels que le partido-alto et le samba de raiz » (Junior, 2006; 143) afin de valoriser le patrimoine de la communauté, alors que le funk et les musiques électroniques occupent une place prépondérante dans la vie des jeunes à l’intérieur de celle-ci.  Aussi, depuis peu, le GCAR propose des cours de violon classique, de chorale et souhaite instaurer des cours de saxophone afin de permettre aux jeunes un accès à de nouveaux styles musicaux.

Cette « démocratisation musicale » s’insère dans une lutte contre les préjugés que mène le GCAR.  Ainsi, on cherche à changer les mentalités par divers moyens.  Le GCAR a toujours été principalement masculin et l’ambiance y était particulièrement machiste (Junior, 2006;119).  Aujourd’hui, on tente de valoriser autant les filles en formant des groupes uniquement féminins et en les intégrants à des groupes mixtes, tels que la chorale.  Aussi, de plus en plus de garçons font partie des projets de théâtre et de danse, alors que les premiers qui en ont fait partie furent victimes de préjugés liés à l’homosexualité.  Le mot d’ordre dans les favelas, et ici nous sommes d’avis avec Junior (2006;119), est qu’il est mieux d’avoir un fils trafiquant qu’un fils homosexuel.  Les mentalités changent tranquillement et l’homosexualité devient de moins en moins taboue.  Aussi, il ne faudrait pas oublier les préjugés générés par la société face à ces jeunes issus de milieux marginalisés et, particulièrement, face à ceux qui ont adhéré à la criminalité.  Nous pourrions ici parler de violence symbolique (Bourdieu).

En plus de participer aux activités artistiques proposées par le GCAR, les jeunes de la communauté assistent à des conférences liées à divers sujets, tels que la santé communautaire et l’engagement social.   En réalité, les jeunes inscrits officiellement aux groupes de musique reçoivent une bourse à chaque mois, en plus de cachets lors des concerts qu’ils donnent, mais ceux-ci doivent participer activement à toutes les activités, dont celles liées à une formation citoyenne plus générale, toujours dans le but d’amener des changements positifs à la situation actuelle.

Le processus de changement a commencé avec la création de mouvements scéniques.  Les intégrants devaient être artistes complets : musiciens, danseurs, acteurs et combattants.  Les répétitions duraient une journée entière et nécessitaient une préparation physique, mentale et psychologique.  Aucun usage de drogue, alcool ou tabac n’était toléré.  En plus de faire partie d’une génération en santé, les jeunes devaient être politisés et conscients de leur rôle d’artistes et d’entrepreneurs sociaux.  (Junior, 2006; 126)

Ainsi, la formation va au-delà de l’apprentissage des techniques musicales.  Environ un tiers des coordonnateurs actuels du GCAR sont des jeunes qui ont été formés au sein de l’institution.  La première génération formée par Afro Reggae a révélé des artistes, des entrepreneurs sociaux, des éducateurs et des leaders communautaires.   À l’intérieur de la communauté, et aussi, par extension, dans les autres communautés défavorisées et/ou principalement occupées par des afro-descendants, les jeunes artistes d’Afro Reggae influencent la nouvelle génération d’afro-descendants en popularisant des coupes de cheveux, la manière d’utiliser la casquette et aussi en suscitant la formation de nouveaux groupes musicaux un peu partout.  « Le style et la manière d’être d’ Afro Reggae est exporté dans les diverses parties du Brésil et peut se résumer en un mot unique : auto-estime » (Junior, 2006; 257).  En effet, le GCAR mise sur une auto-estime des jeunes qui s’identifient à un mouvement fort et médiatisé qu’est devenu le GCAR.  Une trop forte estime de soi peut cependant parfois aller à l’encontre de l’ouverture, du dépassement de soi et nuire à la progression et ces qualités sont nécessaires au changement réel.  Toutefois, les jeunes jouent un rôle important dans la communauté puisqu’ils deviennent en quelque sorte les nouveaux modèles pour les nouvelles générations, ce qui représente une grande responsabilité, et plusieurs des membres des groupes musicaux s’impliquent d’une manière ou d’une autre en faisant du travail social dans la favela..  Ainsi, le GCAR atteint un de ses objectifs : « que les jeunes des  favelas n’aient plus que les trafiquants comme idoles » (Junior, 2006; 126).  La stratégie semble fonctionner puisque, selon  João Grilo, le nombre de trafiquants est passé de cent cinquante à une trentaine depuis l’implantation d’ Afro Reggae à Vigário Geral.

Le passage à la vie d’artiste professionnel ne se fait pas sans heurts, comme nous pouvons nous l’imaginer.

Le passage de projet social à groupe artistique était une grande nouveauté et, à partir de là, les jeunes espéraient être vus non plus comme des jeunes Noirs d’origine humble qui font partie d’un travail socio-culturel, mais aussi en tant qu’artistes. (Junior, 2006; 139)

Aussi, dès les premiers concerts professionnels de la Banda AfroReggae, tous les membres sont devenus acheteurs compulsifs (idem).  Ces jeunes avaient enfin un pouvoir d’achat et, valorisant leur apparence plus que tout, il était important pour eux d’acheter ce qu’ils voulaient avec l’argent qu’ils avaient eux-même gagné.  Nous pouvions également  prévoir une réaction de la part des trafiquants suite au succès de ces jeunes issus de leur communauté qui voyageaient désormais à travers le monde et qui portaient maintenant des vêtements de marques.  Il semble que ceux-ci aient finalement accepté le succès de leurs pairs sans trop de problème.

Le GCAR semble être, plus que la plupart des organismes, porté vers la professionnalisation des artistes.  Elle leur offre des opportunités, l’image et de nombreux contacts, en plus d’un espoir d’une vie meilleure.    Afro Reggae a récemment créé une maison de production, l’ARPA (Afro Reggae Produções Artísticas) afin de soutenir la carrière professionnelle des groupes créés à partir des projets sociaux et particulièrement de la Banda AfroReggae, qui contribue encore aujourd’hui, malgré son succès, à la cause de l’ONG puisque 30% des revenus qu’elle génère y revient.  Cette structure sert donc à appuyer les projets sociaux.

Avec le succès de la Banda AfroReggae et des SubGrupos (cette appelation, qui porte à croire que les autres groupes sont inférieurs ou de moindre qualité, tend à disparaître et on pense à les dénommer autrement officiellement bientôt) ainsi que sa présence active dans les médias, l’institution s’est largement fait connaître et jouit maintenant d’une grande popularité.  Le GCAR est fort probablement l’ONG qui œuvre auprès des jeunes en difficulté par le biais des arts et de la culture la plus importante, du moins sur le plan économique, de la ville de Rio de Janeiro.  Ses moyens dépassent amplement ceux de la plupart des autres ONGs ayant une mission semblable.  Depuis quelques années,  des levées de fonds importantes sont faites au Brésil et à l’étranger et l’ONG, en plus de recevoir le soutien de divers programmes gouvernementaux et d’institutions privées, s’autofinance par la vente de disques compacts et de vêtements à l’effigie de l’organisme.  Ainsi, grâce à l’image projetée sur une grande échelle, l’ONG se fait connaître et attire des donateurs qui, à leur tour, donnent les moyens au GCAR d’opter pour d’importantes campagnes publicitaires et d’améliorer sa structure.

Alors que le discours des  autorités gouvernementales est qu’il n’y a pas de ressources suffisantes pour combattre la pauvreté, le GCAR propose d’investir, avec peu de ressources,  dans le potentiel des jeunes favelados, en favorisant l’éducation, la culture et les arts dans des territoires marqués par la violence policière et des narcotrafiquants avec pour objectif de réussir à créer des alternatives d’emploi et de loisirs.  Le GCAR croit que la manière la plus efficace de promouvoir et de développer le pays commence par la création d’opportunités pour ceux et celles qui sont en situations de risque personnel, afin qu’ils cessent de n’être qu’un numéro dans les statistiques sur la pauvreté et la violence et qu’ils deviennent des citoyens qui contribuent à la construction des richesses et qui ont un droit sur ces richesses.

3.2.2.4  Vers un second “pouvoir parallèle”?

Ainsi, dans un contexte où on ne croit souvent plus dans la capacité du gouvernement à changer les choses et que le pouvoir est régi par ce qu’on a appelé « l’État parallèle », c’est-à-dire par le crime organisé,  le GCAR adopte presque une politique d’autosuffisance, ayant pour but de combler les lacunes du système social proposé par l’État actuel.  En souhaitant offrir une alternative au crime organisé, le GCAR propose, d’une certaine manière, un second « pouvoir parallèle ».  Avec ses groupes de musiques de plus en plus nombreux qui jouent un peu partout en échange de cachets, l’organisme réussit à aller chercher un revenu supplémentaire (la règle du 30% qui consiste à ce que chacun des musiciens des groupes contribue pour le fonctionnement de l’organisme en versant 30% de chacun des cachets obtenus lors de spectacles vaut autant pour les SubGrupos que pour la Banda AfroReggae).  Selon João Madeira, coordonnateur des commandites institutionnelles, le GCAR sera financièrement autonome d’ici quelques années, au fur et à mesure que le nombre de groupes musicaux capables d’offrir des prestations augmentera.  Pour lui, il n’existe aucune limite au succès d’Afro Reggae.  Junior, un des fondateurs de l’organisme, croit également que le projet devrait s’auto-suffire :

Un projet social peut difficilement aujourd’hui réussir à se stabiliser s’il ne s’autofinance pas, que ce soit en gérant des ressources propres, par des prestations de service ou d’autres moyens qui permettent qui permettent son autonomie et son indépendance financière.  Le travail ne peut pas s’arrêter parce qu’une aide financière espérée d’un commanditaire n’entre pas. Jusqu’à la fin de 1996, nous payions tous beaucoup pour travailler.  Maintenant, nous pouvons dire que nous avons terminé l’année 2005 sans perte.  […] Nous croyons que […] [nous] pourrons devenir une institution autonome d’ici dix à quinze ans. (2006; 264)

Toutefois, ce ne sont pas tous les membres du GCAR qui pensent comme eux, puisque certains avouent que l’organisme a besoin du soutien de l’État afin de conserver sa mission sociale.  Aussi, l’entrée dans une logique commerciale implique le passage par les médias qui, comme partout ailleurs, promulguent ce qui leur plaît et correspond à leurs valeurs.  Il serait intéressant de voir si la liberté d’expression des groupes musicaux risque d’en être affectée.  Pour le moment, les projets musicaux d’Afro Reggae sont en pleine expansion et jouissent d’une grande popularité.  Cependant, reste à souhaiter que ce ne soit pas simplement le résultat d’une mode éphémère, puisque, non seulement au Brésil, mais aussi à travers le monde, la favela et ses habitants deviennent en quelque sorte idéalisés et convoités pour leur simplicité, leur amabilité, leur sensualité, leur prestance et leurs nombreux talents artistiques.  Les années 2000 ont rendu la favela « in », en associant des contrastes tels que pauvre et chic, désordre et progrès, etc. À ce titre, des organisations telles que Favela Chic[26] se sont inspirées des ambiances,  valeurs et musiques des favelas afin de créer des lieux et musiques qui plaisent aux grands curieux et révolutionnaires avides d’un certain exotisme en vogue.

3.2.3 Musicultura – CEASM / UFRJ

Quelques membres du groupe Musicultura

3.2.3.1  Description générale des partenaires

Ce dernier projet revêt une importance particulière dans ce travail puisqu’il s’agit non seulement d’un projet social, mais également d’un projet de recherche dirigé par le professeur Samuel Araújo et lié au Laboratoire d’ethnomusicologie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro.  La méthodologie appliqué ici est donc à la fois liée au travail social, mais également à la recherche ethnomusicologique, particulièrement au courant de l’ethnomusicologie appliquée et participative.  Le groupe Musicultura est ainsi né d’une collaboration entre le CEASM (Centro de Estudo e de Ações Sociais da Maré) et l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ).

Le CEASM est une association à but non lucratif qui a été créé en août 1997.  Créé et dirigé par des habitants ou anciens habitants locaux, il rejoint l’ensemble des communautés populaires de Maré, qui réunit près de cent trente mille habitants.  Ses projets visent à surpasser les conditions de pauvreté et d’exclusion existantes dans la communauté, considérée comme le troisième quartier ayant le pire Indice de Développement Humain de la ville de Rio de Janeiro.  Le centre intervient dans le domaine de l’éducation, de la culture, ainsi que dans la génération de revenus et de travail. L’objectif du CEASM est de développer des activités qui peuvent non seulement être assimilées, mais aussi exécutées, par les jeunes et autres habitants de Maré.  Ces derniers reçoivent une aide financière, sous forme de bourse, d’orientation et de formation professionnelle, éthique et citoyenne, en plus d’autres activités stimulantes, qui renforcent l’implication dans la communauté.  Les activités sont développées à partir de partenariats réalisés avec les pouvoir publics, les entreprises publiques et privées, des ONGs, des institutions et des personnes physiques.

3.2.3.2  Démarche de terrain : intégration à un projet de recherche-participante

Le groupe Musicultura est lié à un projet d’étude en ethnomusicologie de l”UFRJ qui consiste en l’application de l’ethnomusicologie participante au sein d’un groupe de jeunes provenant d’une communauté marginalisée   en proposant des réflexions et des recherches sur le patrimoine musical de cette communauté.

Le travail développé au sein du groupe Musicultura , à Maré, a pour objectif, à travers d’un dialogue entre l’académie, les entités communautaires et ses habitants, la production de connaissances sur les nombreuses significations que les pratiques musicales développées à l’intérieur de cette communauté articulent (Cambria, 2004 ; 6).  La perspective adoptée requiert une stratégie de recherche diversifée, qui implique autant l’étude de textes académiques, la recherche d’archives de sources premières que l’observation participante lors d’événements musicaux (Araújo, 2005b; 199).  Ainsi, un des aspects fondamentaux du projet demeure l’étude approfondie des formes de coexistence, ou de sociabilité, qui engendrent ou sont engendrées par le biais de pratiques musicales parmi les populations marginalisées de la ville de Rio de Janeiro dans la lutte pour la citoyenneté (idem).

De manière concrète, le projet permettra également la création d’une documentation sur la diversité musicale des communautés de Maré et de sa mémoire et l’organisation de ce matériel en banque de données qui resteront dans les locaux du CEASM et sera donc accessible à la population.

La collaboration entre les chercheurs du Laboratoire d’ethnomusicologie de l’UFRJ et le CEASM a donc donné naissance au projet Samba e coexistência na Maré, qui a pour but la formation de chercheurs parmi les jeunes étudiants de seize à vingt-ans résidant dans la communauté par des rencontres avec des chercheurs universitaires qui tiennent alors un rôle de provocateurs et médiateurs de discussion (idem; 201).  Le modèle de recherche s’inspire de projets de recherche participative en ethnomusicologie, tels que ceux élaborés par Ellis (1994), avec des aborigènes d’Australie, et Impey (2002) au Kwazulu-Natal, en Afrique du Sud.  On cherche, par cette méthode, à

Promouvoir le regard critique sur le quotidien et la mémoire et contribuer à la consolidation d’une conscience réflexive sur le rôle des pratiques musicales dans sa sociabilité et dans l’élaboration, la définition et la négociation d’identités particulières et des frontières qui les séparent.  (Cambria, 2004; 6)

Enfin, comme le précise Araújo, on s’attend, grâce à ce projet basé sur la recherche-action, à parvenir à un « changement qualitatif dans l’approche ethnomusicologique entre les termes dynamiques (type d’implication dans la communauté étudiée), éthiques et épistémologiques, en plus de faire ressortir les ressources créatives locales » (2005b; 201).

3.2.3.3  Voir la communauté à partir de son patrimoine musical

En tant que projet social, Musicultura se distingue par l’importance que revêtent la recherche et l’autogestion au détriment de la pratique musicale ou artistique.  Celle-ci n’est toutefois pas écartée des projets du groupe et plusieurs membres font déjà partie de l’École de Samba du Gato de Bomsuccesso et/ou ont une pratique musicale en dehors du groupe. Toutefois, le but premier du projet n’étant pas de former des musiciens, ni des ethnomusicologues, il n’est pas apparu prioritaire, selon le responsable du groupe, le professeur Samuel Araújo, d’intégrer l’apprentissage d’instruments ou de théorie musicale dès le début du projet, qui demeure le plus récent des trois programmes étudiés.  Toutefois, cette option n’a pas été écartée et ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont manifesté le désir de mieux connaître la théorie musicale afin d’enrichir leurs recherches.

Les jeunes sont donc initiés à la recherche à partir de lectures de textes académiques et de discussions qui s’ensuivent, de travail sur le terrain,  en plus de rassembler du matériel afin de créer des collections documentées de vinyles, d’articles de journaux ainsi que de vidéos qu’ils tournent eux-mêmes lors d’événements musicaux qui ont lieu dans les communautés de Maré.  Tout comme pour Afro Reggae à Vigário Geral, Musicultura travaille avec un patrimoine musical récemment intégré à la communauté et tente de voir de quelle manière la population s’y rattache.  Il s’agit donc de découvrir divers styles musicaux[27] présents dans leur communautés et de discuter de leur socialisation.  En plus de la recherche, le groupe mise sur le principe d’autogestion, tel que proposé par Paulo Freire, afin d’acquérir des compétences et une meilleure compréhension de leur rôle dans le groupe.  Pour ce dernier, il n’existe pas de connaissances sans autonomie ou dialogue.  Comme me l’a souvent répété Samuel, l’expérience d’autogestion dure pour la vie entière et ce projet permet aux jeunes d’appréhender Maré à partir de son patrimoine musical, et non plus seulement à partir d’éléments généralement négatifs véhiculés à l’intérieur de la communauté et aussi à l’extérieur, entre autres par les médias.  La notion de dialogue (notamment Bakhtin, 1981, Freire, 1996 et 2000, Marcus & Fisher, 1986) demeure au centre de la méthodologie utilisée.

Selon Araújo (2005b; 203), un thème significatif a émergé lors des premières discussions du groupe : celui de l’impact de la violence sur la vie sociale de façon générale et, plus particulièrement, sur la vie musicale.  Cette violence est  toujours amenée au cours des échanges de façon reliée au trafic de stupéfiants. Toutefois, la violence symbolique (Bourdieu) se retrouve encore plus fréquemment dans le discours des jeunes de Maré, souvent sous forme de dépréciation de la production et de la culture locale de la part des propres résidents. Enfin, l’adoption d’une perspective dialogique et non directive, avec l’emphase sur des questions pertinentes au dialogue, rencontre toujours une grande résistance interne de la part des propres victimes d’une telle violence (Araujo, 2005b ; 205 et Freire, 1996 et 2002).  Toutefois, « au fur et à mesure qu’on surmonte les mécanismes de la violence symbolique qui leur impose une vision du monde conservatrice, non seulement est modifiée l’attitude en relation à la construction de la connaissance, se dissolvent les contradictions inexistantes entre le particulier et le général, mais est continuellement réinventé le plan de recherche de thèmes significatifs » (Araújo, 2005b ; 205).  Ainsi, ce groupe de recherche vise non seulement des résultats concrets et rapides liés aux résultats de leurs investigations sur le terrain, mais plutôt un changement durable dans les mentalités des participants et, éventuellement, de la population de Maré, en plus de fournir un bagage de connaissance à une population qui a généralement peu accès à ce type de savoir.

Pour les jeunes de Maré,  Musicultura est l’occasion non seulement de s’impliquer socialement dans un projet qui favorise les apprentissages,  mais également d’apprendre à voir sa propre communauté sous un nouvel oeil, à partir, notamment, de son patrimoine musical.  Comme disait un membre du groupe : “cette recherche ne se terminera jamais”.  Il s’agit, en effet, de l’expérience d’une vie.   Et, comme dirait Freire, sans autonomie ou dialogue, ces connaissances ne seraient sans doute pas possibles.

3.2.3.4  Du point de vue de la recherche en ethnomusicologie

Du côté  de la recherche académique, ce projet s’inscrit dans la foulée des travaux de Ellis (1994), Impey (2002), mais également des textes “post-modernes” de  Clifford (1998), Clifford et Marcus (1984) et Marcus et Fisher (1986) et autres qui les ont suivi et qui tentent d’attribuer davantage de valeur à la voix native, entre autres en l’intégrant aux textes, en tant que contribution au débat académique. Ainsi, les jeunes membres de Musicultura apparaissent de plus en plus en tant qu’auteurs et co-auteurs d’articles scientifiques, ce qui démontre une fois de plus que la voix native peut aussi être analytique. Au Brésil, plusieurs études portent sur des statistiques et sur les gens qui habitent les milieux défavorisés tels que les favelas, mais encore trop de peu de gens s’intéressent réellement à  ce que pense cette population pense.  La méthodologie de la recherche-action participative, pour utiliser l’expression de Cambria (2004), devient donc une alternative prometteuse, selon nous, autant pour l’investigation en ethnomusicologie que pour divers projets impliquant les communautés.

CONCLUSION

Cette expérience au cœur de l’exclusion sociale au Brésil m’amène à réfléchir notamment sur le concept d’intervention.  Celle-ci se veut durable, à mon avis, seulement lorsque, à travers de la participation et lors d’action collectives, les « exclus » réussissent à récupérer leur dignité, en plus d’atteindre des conditions de vie acceptables.  Je suis donc d’avis avec Rattner (2002) que :

L’emphase dans la connaissance et l’action collective doivent faire partie de l’élaboration de programmes d’inclusion sociale.  L’enseignement et les études fragmentaires et sectorielles étant dépassés, nous proposons un abordage élargi dans la pensée systémique moyennant des équipes interdisciplinaires et le dialogue avec des professionnels d’autres domaines qui doivent habiliter les participants à nos programmes afin d’agir – grâce à des conseils, des forums, des groupes de travail, des partenariats, enfin, dans toutes les formes d’organisation sociale – avec le potentiel de mobiliser et de motiver la population à assumer ses responsabilités.

Ainsi, plusieurs programmes d’ONGs abordent le problème d’exclusion de façon partielle, en privilégiant davantage les retombées économiques immédiates, tels que la génération de revenus (sous forme de bourses ou de rémunération pour les spectacles) et l’emploi.  S’ils ne se limitent  qu’à ces objectifs, leur travail n’atteint pas réellement leur dessein d’inclusion sociale, dans son sens profond, puisqu’il n’inclut pas la dimension centrale du phénomène, c’est-à-dire la perte d’autonomie et d’appartenance à un groupe social organisé.

Ainsi, comme on peut le constater, la musique devient très souvent un moyen, plutôt qu’une fin, qui permet une certaine prise de position et l’expression de jeunes qui en ont trop souvent peu les moyens autrement.  Pour les jeunes de Maré, par exemple, on voit comment on tente d’utiliser la musique pour penser politique, puisque les organisateurs et participants ont la conviction que la jeunesse doit être sollicitée pour envisager et construire un nouveau Brésil.  Ainsi est-il important de susciter la curiosité  et la responsabilité et d’équiper ces jeunes dans ce but et tel est l’objectif de la recherche-action, telle que définie par Brandão (1981; 33) :

Motiver et outiller les groupes populaires afin qu’ils assument leur expérience quotidienne de vie et de travail en tant que source de connaissance et d’action de transformation nous paraît être l’objectif de la recherche sociale et de l’action éducative dans une perspective libératrice.

De toute façon, mis à part les cas pour lesquels la musique n’est que pur divertissement (telles que les musiques conçues spécifiquement pour satisfaire les désirs de l’industrie), ne serait-ce pas le rôle de la musique, et des arts de façon général, de contribuer à une société meilleure en permettant le développement d’une sensibilité et d’une écoute qui contribue à la connaissance de soi et du milieu qui nous entoure ?  Autrement dit, les arts auraient-ils davantage un rôle de médiateur, non pas moins essentiel, dans nos sociétés ?

Si tel est le cas, il faudrait revoir, notamment, nos programmes d’éducation musicale.  Ne devrait-on pas valoriser davantage la cohésion sociale créée autour l’acte musical que la performance individuelle, du moins au niveau de l’enseignement pour les groupes d’enfants et d’adolescents qui vise surtout à fournir une « expérience musicale » ?  Autrement dit, nous pourrions ajuster les méthodes d’enseignement de la musique de manière à intégrer la musique dans un contexte, « music as culture » comme dirait Merriam (1960), puisque celle-ci est intimement liée à la culture et aux autres arts et a toujours été présentes dans diverses sociétés.  Les cours de musique devraient, en plus de fournir un bagage théorique de base, amener les jeunes à une prise de conscience de leur environnement sonore, mais aussi social.  Ainsi devrait-on peut-être même aller jusqu’à une « ethnographie de la performance musicale », soit une étude des processus musicaux et de leurs spécificités (Oliveira Pinto, 2001 ; 7).  Cependant, cette approche n’est possible que dans le cas où on opte pour l’examen des musiques dans leur contexte.  De plus, la représentation et la dramatisation musicale se prêtent bien à une lecture des questions sociales, qui deviennent des caractéristiques des groupes étudiés (Feld, 1984).   Enfin, la mise en valeur de la musique en tant que moyen et non seulement une fin passe également par une reconnaissance des pratiques amateures en tant que moyen d’expression et d’appartenance à un groupe.

Dans le contexte décrit tout au long de cet essai, le rôle de l’ethnomusicologue est notamment d’amener une vision ample et de poser un regard critique sur « l »instrumentalisation » que l’on fait parfois de la musique.  Nous avons dit en introduction que la musique a le pouvoir de rassembler, de mobiliser et d’exprimer une partie de soi.  Elle est donc tout à fait appropriée à un usage social.  Toutefois,  il ne faudrait pas perdre de vue les fonctions premières des musiques utilisées, mais plutôt travailler à partir de celles-ci et, dans la mesure du possible, avec les gens qui les côtoient, de près ou de loin.   Ainsi, un travail social ou de coopération basé sur la culture et les arts –  un « développement culturel », pour utiliser une expression à la mode – est possible, mais doit être entrepris en connaissance de cause et avec prudence, puisqu’il est question de l’intimité et de l’identité des gens d’un côté, et de politique et de vision de la société de l’autre.  Il demeure important de considérer l’impact réel sur les populations – en suscitant leurs idées et suggestions –  et les formes artistiques, afin de réfléchir aux effets possibles de telles entreprises.

Le patrimoine musical peut parfois subir des modifications suite à ce type d’opération.  Il peut se retrouver valorisé par diverses mesures, de manière intentionnelle ou non, peut susciter la création, l’expression, l’invention de traditions (Hobsbawn et Ranger, 1983), etc.  À Maré, on a démontré que le rassemblement de jeunes dans le cadre de Musicultura a favorisé la redécouverte de la pratique des percussions par l’organisation officielle du Bloco Se Benze Que Da, qui défile, depuis, chaque année au Carnaval.  Lors d’une discussion entre les membres de Musicultura et ceux du Jongo da Serrinha, ces derniers furent surpris de voir comment, à partir d’une meilleure connaissance, d’un désir de recherche et d’un fort intérêt  de la part des jeunes, la tradition du Bloco a pu être perpétuée.  Le Jongo da Serrinha avait pour sa part, quelques années auparavant, initié la transformation de ses pratiques afin de favoriser leur mise en spectacle, dans le but de sauvegarder la tradition.

On sait que ces actions entreprises autour de pratiques musicales ne sont pas sans effet sur celles-ci.  De même, l’intervention de l’ethnomusicologue ne passe pas totalement inaperçue et n’apparaît pas absolument neutre. Les recherches sur le terrain sont le résultat d’un travail d’équipe, dans lequel des émotions – qui peuvent stimuler, perturber ou autre – sont impliquées de toutes parts.  La réflexivité est essentielle afin de susciter des questionnements. Toutefois, elle implique certains changements chez le chercheur et, comme le précise Russell et Kelly (2002), elle l’invite à confronter des émotions et des conflits qu’il pourrait autrement, c’est-à-dire en se limitant à une simple cueillette de données par exemple, éviter.  Aussi, il faut considérer que chaque chercheur a une expérience de vie qui conditionnera sa vision du monde et ses points de vue.  Il me paraît donc nécessaire dans toute démarche de recherche de favoriser le dialogue, voire la polyphonie (Bakhtin, 1981),  en ayant pour objectif d’obtenir des points de vue divergents sur lesquels débattre.  Enfin, ces échanges et collaborations entre chercheurs, musiciens, communautés et autres collaborateurs devraient préférablement aboutir à un retour de l’information vers ces derniers, afin qu’ils puissent aussi en bénéficier, soit par une divulgation quelconque ou l’accès aux résultats des recherches, afin de favoriser, encore une fois, la connaissance ainsi que la réflexion chez les pratiquants.

Ce   « retour à la population étudiée » questionne également la séparation entre la théorie et la pratique, ou entre l’académique et le terrain, qui viendrait, selon Cambria (2004 ; 2), de l’institutionnalisation et de la délimitation des disciplines académiques.  L’ethnomusicologie fait de plus en plus appel à diverses sciences sociales, telles que l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, la politique ou l’éducation, pour ne citer que quelques exemples.  Toutefois, son rôle, souvent primordial, demeure encore trop peu reconnu de la part de ces sciences.  Bref, il importe de se rappeler constamment que la recherche, que ce soit en ethnomusicologie ou encore en sciences sociales, ne peut pas se faire convenablement si on a des œillères qui nous empêchent de considérer non seulement l’opinion des gens sur le terrain, mais aussi celui des spécialistes des autres disciplines scientifiques.

Une telle recherche  portant sur la musique en tant qu’outil de conscientisation et d’insertion sociale impliquait nécessairement le recours aux diverses voix sur le terrain, mais également d’écrits liés à la philosophie, à l’éducation et à la politique, notamment.  Ce recours est toutefois logique, si l’on souhaite aborder les phénomènes musicaux en tant que « faits sociaux totaux », pour utiliser la célèbre expression de Mauss.

Les diverses voix sur le terrain furent accessibles grâce à mon immersion dans l’univers social, académique et musical carioca.  À partir du moment où je me suis retrouvée sur le terrain, je suis devenue « sujet observant » et mon regard à partir « du dedans » me fournissait des éléments de réflexion pour comprendre des éléments qui m’étaient fondamentalement extérieurs (« du dehors »).  Ma compréhension des divers phénomènes, musiques et pratiques observés relève  presque inévitablement de jugements de valeurs liés à mes expériences antérieures et à ma présence en tant que participante à ces événements.  C’est sans doute là que réside une des difficultés de l’observation participante : l’absence de neutralité totale.  J’ai toutefois tenté de garder un regard dit « objectif » tout au long de cette expérience.  Néanmoins, l’observation participante présente de nombreux avantages, dont celui de permettre une compréhension plus poussée des faits observés et vécus.  Je dirais que je me suis retrouvée en présence de trois contraintes en tant qu’observatrice participante : le fait d’être une femme dans des milieux souvent majoritairement masculins (et généralement à forte tendance machiste) ; mon statut d’étrangère du « premier monde », comme on m’a souvent dit là-bas; et  ma situation d’étudiante à la maîtrise alors que mon objet d’étude était composé de jeunes des milieux populaires.  C’est cette « triple marginalisation » que j’ai tenté de maîtriser pour mieux saisir la structure profonde de la culture dans laquelle j’étais plongée.

Une compréhension de cette structure profonde est souhaitable pour tout projet lié à la coopération internationale, par exemple, et peu importe le domaine.  Mes observations m’amènent à estimer qu’encore trop peu d’organismes et d’entreprises qui oeuvrent au niveau international abordent et incluent le culturel dans leur démarche.  J’espère que ce bref essai aura su montrer l’importance d’intégrer la dimension culturelle dans les projets internationaux, quelle qu’en soit la nature.  Il en va non seulement de la pertinence et de la fécondité des projets pour les organismes de type ONG, mais aussi et surtout pour les locaux directement visés par ces projets.

Pour conclure, cette expérience sur le terrain me pousse à croire et à m’engager dans une ethnomusicologie davantage ancrée dans l’action, bien que  consciente du risque d’en venir à une ethnomusicologie politisée ou encore « instrumentalisée », ce qui irait au-delà de la science qu’elle propose.  Toutefois, pourrait-on concevoir une ethnomusicologie engagée qui a le devoir d’améliorer le quotidien des gens? Serait-ce là l’avenue d’un réel dialogue (au sens de Geertz, 1973), aspect souvent cité par les ethnomusicologues contemporains ?

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[1] Littéralement “canaille”.  Terme utilisé toutefois pour représenter le Brésilien qui a peu d’influence sociale ou socialement défavorisé qui use de ruse pour obtenir ce qu’il désire.  La “malandragem” est décrite dans l’imaginaire populaire brésilien comme étant un outil de justice individuelle.

[2] Nom donné aux musiciens de samba qui ont généralement appris par tradition orale.

[3] Mercosul ou Mercosud, em portugais, est le plus important projet de politique externe du Brésil.

[4] A. M. Alvez de Souza, 2005; 89.

[5] Chiffre estimé en 2005 par l’ Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística – IBGE.

[6] Les chiffres fournis proviennent de l’encyclopédie virtuelle wikipedia : http://www.fr.wikipedia.org .

[7] Ces chiffres proviennent du site internet de l’Institut Brésilien de géographie et de statistiques : http://www.ibge.gov.br .

[8] Vingt travailleurs et une étudiante de la communauté, dont huit de la même famille, furent retrouvés abattus au matin du 30 août 1993 et il s’agirait d’un acte commis par des policiers.

[9] Église importante située au Centre de Rio de Janeiro.

[10] On pourrait citer le peu d’accès à l’éducation, les problèmes quotidiens liés à la pauvreté, la violence liée au trafic de drogues, mais aussi la violence symbolique (Bourdieu), etc.

[11] Les droits civils comportent le droit des obligations, le droit des personnes, le droit de la famille, le droit des biens et le droit de la preuve.  Je dis que les jeunes en sont exclus parce que le pouvoir judiciaire occupe encore souvent peu d’importance dans ces milieux, au profit de la loi coutumière et du “pouvoir parallèle”  représenté par les trafiquants.

[12] Plusieurs informations de cette section proviennent du document “Urban Poverty Alleviation Through Environmental Upgrading in Rio de Janeiro : Favela Bairro ».

[13] Plusieurs projets sociaux basés sur le hip hop, notamment,  vont dans ce sens.

[14] L’expression “un autre monde est possible” a été emprunté au thème du Forum social mondial, utilisé depuis 2002.

[15] « Cultura Viva : Programa nacional de Cultura, Educação e Cidadania » est né au sein du Ministère de la culture du gouvernement Lula et s’articule principalement autour des « Pontos da Cultura ».  Pour plus d’informations, consulter http://www.cultura.gov.br/programas_e_acoes/cultura_viva/index.html . (Dernière consultation le 8 juin 2006)

[16] Je reprends ici l’exemple cité par Junior, dans la dernière édition du livre Da Favela para o Mundo, 2006 ; 140.

[17] Voir à ce sujet Geertz, 1959, “Ritual and Social Change : A Javanese Example”, in  The Interpretation of Cultures, 2000, Basic Books, A Member of the Perseus Books Group, New York, 470 pages.

[18] J’entends ici  par « musique »  autant l’initiation à une pratique musicale, qui va parfois  jusqu’à la professionnalisation, que l’acquisition de connaissances reliées à la musique dans son sens large.

[19] Griôs est le mot portugais qui signifie Griot, tel qu’on l’entend en Afrique francophone.

[20] La description du travail des Griôs est  fortement inspirée d’un dépliant qu’ils ont imprimé afin de faire la promotion du groupe.

[21] Divinités d’origine africaines que l’on retrouve au Brésil dans le candomblé et l’umbanda.

[22] José Junior, 2006 ; 64.

[23] Ma traduction de la mission qui apparaît sur le site web d’Afro Reggae.

[24] Titre emprunté à l’ouvrage de José Junior (2006), qui se traduirait en français par “De la favela vers le monde”.

[25] Le samba-reggae, principal produit du mouvement afro-bahianais, est une musique basée sur un grand ensemble de percussions (surdos) et des voix, auxquuels sont parfois ajoutés des cuivres.

[26] Voir le site web : www.favelachic.com pour plus d’informations.

[27] Au sujet des styles musicaux, Araújo (2005b; 202) fait remarquer que “en travaillant dans un tel contexte [celui du groupe Musicultura] avec des catégories pré-élaboréees lors de formations discursives qui ignorent la perspective microscopique des opérations et interractions concrètes du quotidien, les chercheurs universitaires ont constaté que quelques catégories apparemment consensuelles registrées dans la littérature portant sur la musique brésilienne – comme, par exemple, la catégorie “samba”, paraissent interprétées dans la perception communautaire comme surprenantes ou encore insignifiantes, alors que la communauté est stimulée à confronter la violence symbolique des catégories académiques au moyen de stratégies participatives”.

© Marie-Christine Parent, 2006

Comments
One Response to “La musique en tant qu’outil de conscientisation sociale dans les milieux populaires de Rio de Janeiro”
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