NETTL, Bruno, 2010, Nettl’s elephant – On the History of Ethnomusicology, University of Illinois Press, 257 pages.

Ce compte-rendu a été publié dans les Cahiers d’ethnomusicologie, 24/ 2011, p. 248-250.

 

Si plusieurs ouvrages récents dans la littérature ethnomusicologique questionnent  les enjeux et l’identité de la discipline de même que ses méthodes de recherche, peu d’auteurs se sont penchés sur l’évolution de l’ethnomusicologie à travers le temps et dans divers contextes[1].  Bruno Nettl, acteur et témoin d’une bonne partie du développement de l’ethnomusicologie américaine livre ses réflexions et observations dans Nettl’s elephant – On the History of Ethnomusicology, publié en 2010 par les Presses de l’Université d’Illinois.

Composé de seize essais proposant une réflexion et un panorama de l’histoire de l’ethnomusicologie en tant que science et discipline académique, ainsi qu’une présentation de la discipline dans les institutions et organisations, ce livre vient combler une lacune sur le plan de l’histoire de l’ethnomusicologie, principalement américaine, en fournissant une observation et une recherche documentée sur le sujet.  L’ensemble des essais fait référence à une bibliographie riche, puisée dans la littérature des deux derniers siècles et principalement de langues anglaise et allemande.  Sans prendre parti, Nettl présente diverses visions de la discipline, de même que divers concepts, idées et préoccupations qui ont guidé – et guident toujours – les ethnomusicologues dans leurs recherches et réflexions.  La plupart des essais découlent de communications orales et sont autonomes les uns par rapport aux autres.  De façon globale, on peut affirmer que ce livre  contribue de manière significative à une meilleure compréhension de l’histoire de l’ethnomusicologie au cours du XXe siècle, marqué par  les migrations de populations, les guerres mondiales, l’influence de la philosophie européenne, ainsi que l’histoire et l’expérience personnelle de l’auteur.

Fils d’un musicologue juif autrichien immigré aux États-Unis à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Nettl a participé activement à la création et au développement d’organisations professionnelles telles que la SEM et l’ICTM  et agi en tant que chercheur, professeur et acteur des principaux débats sur la discipline ethnomusicologique depuis une cinquantaine d’années.  Il avait donc toute la compétence et le recul nécessaires pour écrire cette « histoire de l’ethnomusicologie ».   L’auteur ne se limite cependant pas à une exposition de ses observations et inclut le discours de ses contemporains dans son analyse afin de mieux représenter la diversité des récits.

La première partie du livre discute des principales problématiques traitées au cours de l’histoire et des différents courants qui ont constitué les balbutiements de l’ethnomusicologie et son évolution jusqu’à aujourd’hui.  L’auteur y aborde ici l’histoire et le développement de la discipline dans d’autres aires culturelles, notamment dans le monde francophone, en Amérique latine et en Iran.  Bien qu’actuelles et bien documentées, ces informations occupent, malheureusement,  une place négligeable.  Seuls les grands noms sont cités et l’on passe ainsi à côté de tendances marquantes pour le développement de la discipline comme, par exemple, la présence d’une ethnomusicologie « engagée » et « locale » qui s’est développée en Amérique latine en parallèle à une volonté de démocratisation et d’engagement citoyen.  Dans la même veine, on regrette l’absence de référence à un ouvrage qui aurait fourni ici une mise en perspective intéressante, soit L’Ethnomusiclogie de la France : de « l’ancienne civilisation paysanne » à la  globalisation, paru chez L’Harmattan en 2009 et issu d’un colloque organisé par Y. Defrance et L.-C. Dominique.

La deuxième section de Nettl’s elephant revoie la place de l’ethnomusicologie au sein des institutions académiques, oscillant entre les départements de musique et de sciences sociales, ainsi que les préoccupations passées et futures des ethnomusicologues, insistant sur l’unicité de notre discipline.  Nettl aborde des notions telles que les origines et l’histoire de la musique ainsi que les universaux en musique (perspective qu’il rejette sous prétexte d’être trop ethnocentriste).  Dans cette optique, il retrace l’importance qu’a pris le concept d’évolution, se référant autant aux thèses évolutionnistes en biologie qu’à la direction du changement, dans l’histoire de la recherche ethnomusicologique.

En troisième lieu, c’est le rôle et le développement des principales organisations professionnelles regroupant les ethnomusicologues, soit l’ICTM et la SEM, que Nettl discute, soulignant avec force leur contribution pour la reconnaissance et le maintien de l’ethnomusicologie en tant que discipline à part entière, une position à laquelle il adhère.  Au chapitre de la production et de la diffusion de la recherche, l’auteur se dit satisfait des réalisations qui y ont eu cours pendant les cinquante dernières années. Il voit des défis stimulants liés au développement de la discipline, des technologies et des changements sociaux pour les prochaines décennies.  L’ouvrage se termine par des essais traitant de thèmes récurrents en ethnomusicologie, comme la géographie musicale, l’étude des minorités, les répertoires étudiés, les canons en ethnomusicologie (ceux qui jouent un rôle important dans l’enseignement de la discipline, ceux établis par les chercheurs pour des raisons esthétiques ou idéologiques et ceux dévoilés grâce aux recherches sur différents terrains).  À titre d’exemples de ces canons, Nettl cite notamment les passages obligés dans le parcours de l’étudiant,  une forme d’universalité des méthodologies de recherche, ou encore les canons liés à une culture musicale précise comme le radif dans les musiques perses.

Somme toute, Nettl’s elephant représente une lecture essentielle pour tout étudiant, chercheur ou professeur en ethnomusicologie.  À la fois clair et érudit, sa lecture est agréable et l’ouvrage constitue une référence richement documentée concernant l’évolution de l’ethnomusicologie, de ses balbutiements en Europe (dommage qu’il n’ait pas développé davantage cette avenue) jusqu’à son épanouissement, en sol nord-américain principalement.

 

Marie-Christine Parent, 2010.

 

RÉFÉRENCES :

AROM Simha & Franck ALVAREZ-PÉREYRE

2007  Précis d’ethnomusicologie. Paris : CNRS Éditions.

CHARLES-DOMINIQUE Luc & Yves DEFRANCE

2009  L’ethnomusicologie de la France.  De l’ « ancienne civilisation paysanne » à la globalisation. L’Harmattan : Collection « Ethnomusicologie et anthropologie musicale de l’espace français ».

MCLEAN Mervyn

2006  Pioneers of Ethnomusicology.  Coral Springs, Fla. : Llumina.

MYERS, Helen

1992  Ethnomusicology : An Introduction.  New York : Norton.


[1] Nettl cite toutefois les apports non négligeables de quelques chercheurs, dont Helen Myers (1992), Mervyn Mclean (2006) et Simha Arom et Frank Alvarez-Péreyre (2007).

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